La Critique
Albert Dupontel est vraiment un personnage qui compte aujourd’hui dans le paysage cinématographique français, d’abord en tant qu’acteur, puis aussi, au milieu des années 90 en tant que réalisateur avec Bernie, fable paraît-il complètement déjantée, qui avait fait plutôt du bruit et qui reste culte pour pas mal de monde encore aujourd’hui. Depuis, il a tracé sa voie, en réalisant ses films, en jouant pour d’autres et en gardant toujours une image de trublion du cinéma français, capable d’humour très noir et de performances parfois un peu frappées. Son précédent film, Le vilain, n’était pas génial mais on reconnaissait son goût pour le côté très décalé même si le ton général s’était plutôt assagi. Le relatif succès du long métrage (presque le million d’entrées au total) avait confirmé qu’un Dupontel un peu moins borderline passait sans doute mieux auprès du public. Il n’en reste pas moins que l’on sent chez cet acteur-réalisateur quelque chose d’une révolte toujours prête à exploser. Pour son nouveau film, il utilise l’univers de la justice en nous racontant l’histoire d’une magistrate (un peu trop) bien sous tous rapports qui va voir sa vie bouleverser par l’arrivée future d’un bébé mais surtout par l’identité du père. Le point de départ n’est pas inintéressant mais, bon, sur le principe, on se dit que ce n’est pas forcément l’idée du siècle. Par contre, quand on apprend que ce pitch est venu à Albert Dupontel en regardant le documentaire 10ème chambre, instants d’audience de Raymond Depardon, les choses évoluent quelque peu et se font plus intrigantes. De fait, Neuf mois ferme est une vraie bonne comédie, pas seulement drôle gratuitement, mais qui arrive à évoquer de façon finalement assez sensible des questions pas si faciles que ça.
Pourtant, au début, je n’étais pas si rassuré. J’ai en effet trouvé le film un peu longuet à démarrer avec une insistance sur des éléments pas forcément si importants. L’humour est là, mais pas forcément si grinçant qu’on pourrait l’attendre. Bref, on est un peu sur notre faim pendant un petit tiers du film. C’est en fait la rencontre des deux personnages principaux et leurs aventures en commun qui font rentrer ce film dans une autre dimension. Le rapprochement de ces deux êtres complètement différents, tant par leur milieu d’origine que par leur position dans la hiérarchie judiciaire (elle est juge, lui accusé de meurtre) font que de leur confrontation ne peut naître que quelque chose d’un peu fou. Et c’est vraiment le cas. A partir de là, on s’aventure de plus en plus dans le loufoque, mais un loufoque très maitrisé. En effet, on ne peut pas dire que ce soit du grand n’importe quoi comme certains films car on trouve là un vrai fond. Finalement, derrière toutes ces bêtises, on parle quand même en creux des questions de maternité, du fonctionnement du système judiciaire ou encore du droit à une seconde chance. Autant de sujets assez différents et qui, traités par-dessus la jambe, peuvent vite former une bouillie scénaristique. Albert Dupontel arrive à trouver le ton juste pour évoquer tout cela en étant finalement toujours sur un fil : dans la comédie, bien sûr, mais jamais bien loin du drame qui pointe son nez quelque fois. D’ailleurs, le réalisateur définit son film comme un « drame drôle » plus que comme une comédie et il n’a pas tort. Et c’est surtout là que le ton humoristique est le plus dur à trouver car les blagues peuvent très vite tomber à plat. Dans Neuf mois ferme, cette limite n’est jamais franchie et l’ensemble est très amusant.
Certains moments sont même exceptionnels et pourraient bien rentrer dans les annales. C’est le cas notamment de toute la séquence de reconstitution du meurtre. En s’enfonçant de plus en plus dans ses théories pour se défendre, l’accusé nous offre quelque chose de plus en plus délirant et qui finit dans un bain de sang spectaculaire et hilarant. Car Albert Dupontel confirme avec ce film un certain goût du trash gratuit. Mais bon, ce n’est pas si violent, car même moi qui n’aime pas beaucoup les grandes effusions de sang, j’ai trouvé ça plutôt drôle et bien tourné. Que ce soit dans les sous-sols de la police judiciaire ou encore lors de cette longue séquence de reconstitution, il y a de l’hémoglobine à gogo. Autre exemple de très grands moments de rire : quand on voit les zappings d’extraits de télévision se rapportant à l’affaire en cours. Et là, il y a quand même un vrai souci : on ne sait plus où donner de la tête car l’écran est rempli de trucs drôles à différents endroits. Entre Jean Dujardin qui fait les gestes pour les personnes sourdes de façon incroyablement drôle, les bandeaux défilants en dessous avec des infos toutes plus absurdes les unes que les autres et des tweets loufoques (avec, surtout, des noms de comptes à coucher dehors) et les journalistes débitant des choses plus grosses qu’eux, c’est vraiment compliqué de tout suivre. C’est en tout cas, en creux, une vraie critique des médias qui, s’ils nous en mettent de plus en plus plein la vue, ne s’améliorent pas (c’est le moins que l’on puisse dire) au niveau du fond. Toujours cette façon de faire rire mais pas gratuitement.
Et, pour qu’une comédie fonctionne bien, il est nécessaire d’avoir des acteurs performants. Dupontel, lui, fait un peu son rôle habituel de gentil un peu escroc et débile sur les bords. Il s’acquitte plutôt correctement de sa tâche mais il est surtout éclipsé par sa partenaire dans le rôle principal et par un second rôle totalement improbable. Parlons donc déjà de Nicolas Marié, extraordinaire en avocat bègue et survolté, une performance loin d’être évidente mais qu’il réussit parfaitement en offrant des séquences grandioses. Mais c’est surtout Sandrine Kiberlain qui est épatante. Depuis quelques années, celle qui était considérée comme sérieuse et même froide s’aventure du côté de la comédie et, actuellement, elle ne fait même plus que cela. Il faut dire qu’elle est assez délirante ici dans ce rôle d’une femme très sérieuse qui voit peu à peu tout ce qu’elle a pu construire durant sa vie se fissurer et le contrôle qu’elle avait d’elle-même voler en éclat. Finalement, Neuf mois ferme est un film relativement court (pas beaucoup plus d’une heure et quart si on enlève le générique), ce qui, normalement, a plutôt tendance à m’agacer. Mais, honnêtement, là, c’est bien que le réalisateur n’ait pas tout fait pour atteindre absolument les 90 minutes syndicales. Parfois, il faut se contenter de ce qu’on a et se dire que, réduit comme cela, le film est plus « musclé ». Albert Dupontel prouve qu’il est bien entré dans la caste des réalisateurs capables de faire de vraies très bonnes comédies et nous offre donc un vrai petit plaisir de cinéma, drôle et bien ficelé. On n’en demande pas plus…