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LE LAMBEAU DE PHILPPE LANÇON

 L'Article


Philippe Lançon

Philippe Lançon est journaliste à Libération mais aussi à Charlie Hebdo. Il se trouve dans la salle de rédaction au matin du 7 janvier 2015 lorsque survient l’attentat. Il y survit mais il laisse dans cette horreur une partie de son visage, de nombreux amis ainsi que, tout simpelement, sa vie d’avant. C’est cet épisode et sa reconstruction à l’hôpital qu’il raconte dans ce livre.
 

Ce fut l’un des livres événements de l’année 2018 et, pour beaucoup de critiques, il aurait mérité le Prix Goncourt. Il n’aura finalement eu « que » le Prix Femina ainsi qu’un prix « spécial » Renaudot, ce qui n’est déjà pas si mal, me direz-vous. De mon côté, il m’aura fallu attendre environ un an après sa sortie pour m’y mettre, même si cela faisait un certain temps que je m’y intéressais de près. Pourtant, je ne connaissais pas ce journaliste, également auteur de deux romans, ne lisant guère ni Libération, ni Charlie Hebdo. Mais le peu que j’avais pu entendre sur ce roman me donnait vraiment envie de le lire et je me dis rétrospectivement que j’ai vraiment bien fait car Le Lambeau est une œuvre qui, si elle n’est pas forcément facile à appréhender au départ, n’en reste pas moins d’une puissance assez exceptionnelle. On entre pendant presque neuf mois dans la vie de cet homme, victime de l’un des événements à la fois les plus dramatiques mais aussi emblématiques depuis le début du siècle en France. Et, même en finissant le roman, on n’a pas l’impression d’en sortir complètement, d’autant que le livre, dans un écho absolument terrible mais malheureusement attendu, se termine sur l’évocation des attentats du 13 novembre, comme un cauchemar qui ne veut pas se terminer. Philippe Lançon, lui, est à ce moment-là sorti de l’hôpital (il se trouve même à New York) mais son combat n’est pas terminé, loin de là, mais nous ne pouvons que l’imaginer.

 

Par contre, ce qu’il a pu vivre pendant les neuf mois allant du 6 janvier 2015, veille de l’attentat, jusqu’à sa sortie de l’hôpital – ou devrait-on dire des hôpitaux puisqu’il a séjourné à la fois à la Pitié-Salpêtrière et aux Invalides –, nous avons presque l’impression de le vivre avec lui. Car, pendant plus de cinq-cent pages, l’auteur s’évertue à expliquer au lecteur ce que cet événement a changé pour lui, mais aussi pour tous ceux qui l’entour et comment il est devenu une autre personne. Il le fait sans voyeurisme ni sensationnalisme aucun. Il décrit juste ses sensations face à un combat qui est à la fois physique (il subit plus d’une quinzaine d’opérations, presque exclusivement pour « réparer » son visage) mais également mental car cet attentat l’a profondément changé, puisque lui-même ne semble plus se reconnaître et fait souvent la distinction entre l’« ancien lui » et le « nouveau lui ». Il va même plus loin en montrant également que ces événements ont également eu un impact sur les proches mais également, d’une certaine manière, sur le personnel hospitalier. Par contre, ce qui ne l’intéresse vraiment pas, c’est tout ce qui a pu se passer autour des attentats (la traque des suspects, les marches pour Charlie, les polémiques qui ont suivi,…). C’est comme si, d’une certaine manière, il s’était presque coupé du Monde, pour entrer dans son propre monde, où l’art en général (la littérature et la musique principalement) a une place à part puisque ça lui permet de tenir le coup dans les moments les plus compliqués.

 

Le Lambeau est un vrai roman, marqué par un style plutôt fluide, parcouru de passages magnifiquement écrits et qui laisse de grandes places aux digressions. En effet, Lançon n’hésite pas, au détour d’une remarque, à partir dans des souvenirs personnels ou encore des analyses plus critiques sur des œuvres ou des événements. C’est parfois un peu déroutant tant les aller-retours sont fréquents et font parfois un peu perdre de puissance brute au récit. On peut même reprocher un petit côté bavard par moments. C’est par exemple le cas dans toute la première partie qui est une sorte de compte à rebours dont on connaît l’issue fatale, et qui est entrecoupée par de multiples digressions. Il y a en tout cas dans cette façon assez particulière de raconter le réel un rapprochement à faire avec l’œuvre de Carrère même si, Carrère, lui, se sert des autres pour parler de lui alors que Philippe Lançon utilise plutôt le procédé inverse. Le Lambeau est aussi un formidable hommage à la fois aux personnels de santé ainsi qu’aux policiers. D’ailleurs, je pense que les plus beaux passages sont sans doute ceux où il évoque et décrit tous ces personnages de l’ombre qui ont veillé sur lui, chacun à leur manière, et pour qui il a une vraie reconnaissance, notamment sa chirurgienne Chloé. Tout cela fait de ce livre une œuvre qu’il est difficile d’oublier tant elle secoue le lecteur à certains moments et tant elle le séduit à d’autres.

« C’est alors, ouvrant les yeux, j’ai vu la grande salle de réveil et sa lumière blafarde, entre jaune et vert, et, les baissant vers le pied de mon lit, au lieu de la rambarde en fer forgé et de la housse de couette, ce drap jaune inconnu sur lequel reposaient deux bras et deux mains bandés, il me fallut quelques secondes pour comprendre qu’il s’agissait des miens, dans ces secondes qui allaient au-delà du lit, tout le reste s’est engouffré, l’attentat et les minutes suivantes, et avec lui les cinquante et un ans d’une existence qui prenait fin ici, dans cette prise de conscience, à cet instant. »


Plus qu’un simple témoignage, l’auteur livre ici une réelle œuvre littéraire d’une beauté parfois étonnante, bien que très dure par moments. En se racontant, et en nous narrant un combat de tous les instants, tant au niveau physique que mental, Philippe Lançon convoque de multiples souvenirs dans lesquels le lecteur se laisse entraîner, au risque parfois de digressions pas toujours essentielles. Enfin, cet ouvrage est également un hommage impressionnant aux personnels de santé ainsi qu’aux forces de l’ordre. Le tout donne à ce
Lambeau une force toute particulière, qui en fait nécessairement un grand livre.

LE lambeau



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Jct 02.05.2019, 07:02

Tu me donnes envie de lire ce livre que je craignais un peu
Tu me le preteras ! !!


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