L'Article
Alors qu’il prévoyait au départ d’écrire un essai sur le yoga, une discipline qu’il pratique depuis longtemps, des événements extérieurs et intérieurs vont bouleverses le projet de l’auteur. Ainsi, son récit prend une autre tournure, naviguant entre terrorisme et migrants bloqués en Grèce, en passant par un épisode dépressif très puissant. Bref, un livre pas facile à résumer…
Il y a toujours un côté assez plaisant à retrouver Emmanuel Carrère. Vu qu’il n’hésite pas à nous faire entrer dans sa vie, parfois même de manière très intime, on a presque l’impression de le connaître. Et c’est comme revoir un vieil ami après quelque temps où l’on ne s’est pas tenu au courant de nos aventures respectives. Après six ans sans roman (Le Royaume était le dernier en date), le voici de retour avec un ouvrage qui a beaucoup fait parler de lui. D’abord parce que Carrère est devenu au fil des années un vrai succès littéraire (mérité, selon moi). Ensuite, parce qu’une polémique est née à la suite de la parution puisque son ex-femme, très présente dans ses ouvrages précédents, a publié une tribune indiquant (en gros) qu’elle n’acceptait pas d’être évoquée dans Yoga et que le contenu même du livre était très loin de la vérité de ce qui s’était passé pour l’auteur. Au fond, ce n’est finalement pas si important de savoir véritablement ce qui est véridique dans ce qui est raconté (ça reste une œuvre littéraire, avec ce qu’elle comporte de fiction), même si, chez Carrère, la dimension intime étant essentiel, savoir qu’il a pu travestir la réalité donne forcément une autre vision à la lecture. Mais ce n’est pas nécessairement ce qui m’a le plus dérangé au fil des quelques mois qu’il m’a fallu pour venir à bout de Yoga.
D’ailleurs, le temps que j’ai pu mettre pour finir un ouvrage au demeurant pas très long (un peu moins de 400 pages en broché) indique déjà qu’il ne m’a pas complètement emporté, c’est le moins que l’on puisse dire. La première raison, qui, au départ, m’a empêché de complètement m’y investir, c’est que tout ce qui touche au yoga et à la méditation ne m’intéressent que très peu (et, pour être franc, le livre ne m’a pas donné envie de plus m’y attarder). Alors, si Carrère possède évidemment un talent pour raconter, avec des petites touches d’humour, son séjour dans le Morvan pour une retraite intensive, le premier tiers du livre m’a été plutôt difficile. La suite m’a davantage convenu même si, et c’est selon moi le gros défaut du livre, trop de sujets sont balayés et on a du mal à véritablement saisir ce que Carrère veut dire avec ce livre (s’il veut dire quelque chose, ce qui n’est pas obligatoire). Evidemment, plus que dans tous ses autres livres, on sent dans ce Yoga une dimension presque curative pour l’auteur : il a besoin d’écrire pour se libérer de ses souffrances psychiques.
Même s’il parle dans tous ses romans de lui, je le trouve bien plus intéressant quand il s’appuie véritablement sur autre chose (par exemple une enquête, ou la vie de quelqu’un d’autre). Là, on est dans l’intime le plus pur et j’ai eu un peu plus de mal avec cela. Il se met dans Yoga véritablement à nu, n’hésitant pas à avouer qu’il est tombé plus bas que terre. Après, Carrère reste un auteur capable d’offrir quelques très beaux passages, notamment quand il parle de son éditeur de toujours, décédé en 2018. C’est d’ailleurs assez cocasse que les deux derniers livres que j’ai lu (avec L’Enigme de la chambre 622) comportent de grands hommages aux éditeurs décédés. Mais il m’a manqué dans Yoga un véritable souffle qui nous emmène de la première à la dernière page. Là, c’est plus une succession de parties, rassemblées en un roman, sans que l’ensemble ne fasse forcément complètement sens. C’est pourquoi, en refermant le livre, je n’ai pas eu cette sensation que j’aime tant de quitter véritablement un univers. Bref, c’est loin d’être le Carrère que j’ai préféré.
« J’ai beaucoup répété qu’il faut respecter ses souffrances, ne pas les relativiser, que le malheur névrotique n’est pas moins cruel que le malheur ordinaire, mais quand même : rapporté à l’arrachement qu’ont vécu et que vivent ces garçons de seize ou dix-sept ans, un type qui a tout, absolument tout pour être heureux et se débrouille pour saccager ce bonheur et celui des siens, c’est une obscénité que je me vois mal leur demander de comprendre et qui donne raison au point de vue de mes parents selon lequel, pendant la guerre, on n’avait pas tellement le loisir d’être névrosé. »
Même s’il y a dans ce Yoga quelques très beaux passages et que Carrère reste un auteur qui écrit très bien, ce roman m’a globalement plutôt déçu. L’auteur évoque trop de choses et cela donne à l’ensemble un côté presque un peu fouillis. Et puis, pour être tout à fait honnête, les réflexions sur la discipline du yoga ne m’ont pas vraiment captivé. J’attendais mieux !