La Critique
Depuis maintenant six ans, les deux compères Eric Toledano et Olivier Nakache (on dit toujours dans cet ordre-là, je n’ai jamais su pourquoi) sont devenus les rois absolus de la comédie française. Grâce au succès insensé (près de vingt millions d’entrées au final, en France) mais selon moi mérité d’Intouchables, ils peuvent mettre sur pied à peu près tous les projets qu’ils souhaitent. D’ailleurs, je trouve qu’ils n’avaient pas choisi la facilité avec Samba, film davantage social et politique que réellement axé sur la comédie. Pari d’ailleurs plutôt réussi puisque le film n’était pas dénue d’intérêt. Avec Le sens de la fête, ils semblent revenir davantage à ce qu’ils connaissent et ce qu’ils aiment visiblement beaucoup, à savoir les comédies qui s’articulent autour d’un environnement particulier et où le nombre de personnages, et donc de points de vue, est très nombreux. Que ce soit Nos jours heureux ou encore Tellement proches, on retrouvait ce foisonnement dans les protagonistes et cette volonté de s’intéresser plus particulièrement à une colonie de vacances dans le premier cas et à la famille et ses contrariétés, dans le second. Là, c’est autour d’un mariage que tout va se dérouler. A priori, ça ne semble pas être l’idée la plus originale puisque cet événement a connu un nombre de films tout bonnement incroyable, et dans à peu près tous les styles, même si c’est souvent la comédie (souvent romantique et plus ou moins réussie) qui a pris le dessus même si Lars von Trier a prouvé avec Melancholia qu’on pouvait aller davantage vers le drame. Mais j’avais confiance dans les deux compères pour réinventer tout cela. L’une des particularités à noter pour ce film est l’absence d’Omar Sy, alors que ce dernier était presque indissociable du trio, présent dans leur quatre précédents long-métrages. Pour autant, le nouveau duo magique du cinéma français a-t-il gardé sa verve pour nous servir une comédie de qualité ?
Ce qui me semble vraiment intéressant pour commencer, c’est de dire que, en fait, Le sens de la fête n’est pas un énième film sur une cérémonie de mariage. Bien sûr, tout se déroule dans une unité de lieu (le château) et de temps (la journée) qui ramène invariablement à un événement unique. Mais c’est bien plus un long métrage qui parle de l’équipe qui se trouve derrière cette fête que sur le mariage en lui-même. En ce sens, ça pourrait être une fête d’anniversaire ou une retraite que les enjeux seraient à peu de choses près les mêmes. D’ailleurs, on ne voit finalement que très peu les mariés en eux-mêmes (surtout elle, quasi invisible, ce qui est un peu dommageable) ou même leurs familles ou invités. Ce qui intéresse le duo, c’est bien l’envers du décor, articulé autour de la figure de Max qui, bien plus que traiteur, est aussi organisateur clé en mains de toute la fête et doit donc avoir un œil sur les différents prestataires (le photographe, le DJ,…). Evidemment, tout ne va pas se passer comme prévu (sinon, y’aurait-il véritablement matière à faire un film ?) et les contrariétés en tout genre vont s’enchaîner. C’est d’ailleurs ce que l’on peut un peu reprocher à ce film : manquer de surprises dans le déroulé de la journée où, finalement, les différentes anicroches (ou gros soucis) n’ont rien de véritablement transcendant. On sent par moments qu’il y a même quelques passages obligés et qu’un peu plus de mordant ou de situations ambiguës n’aurait pas été de trop pour donner davantage de corps à l’ensemble. D’ailleurs, à certains moments un peu clés, on sent que le scénario fait toujours le choix de ce que l’on peut considérer comme les sentiers battus et ne cherche pas à tout prix à être corrosif.
Mais, malgré ce que l’on peut considérer comme des facilités, le rythme ne descend jamais véritablement. Cela est dû d’abord aux vraies qualités de dialoguistes des deux compères qui ont une capacité assez impressionnante à faire de leurs personnages de vraies usines à bons mots. Mais c’est également grâce à la manière dont l’aspect très choral du film est géré. Moi qui suis pourtant loin d’être un fan de ce genre, j’ai trouvé que ça fonctionnait plutôt bien ici. Pourtant, j’ai quand même rarement vu un film où il y a autant de personnages qui ont un véritable rôle. Evidemment, tous ne sont pas de la même importance, et certains sont même quelque peu accessoires, mais on peut identifier au moins une bonne quinzaine de protagonistes qui, chacun à leur manière, ont une importance. On sent qu’il y a une attention portée à chacun des rôles, même les plus petits, pour les mettre en valeur. Rien n’est laissé au hasard et c’est une constante du cinéma de Toledano et Nakache. Et c’est véritablement Max qui agit comme une sorte de Monsieur Loyal et qui donne le rythme, puisque tous les personnages en réfèrent finalement à lui, d’une manière ou d’une autre. D’ailleurs, ses vies personnelles et professionnelles se télescopent constamment et c’est l’une des raisons pour lesquelles cette journée ne sera pas comme les autres pour lui. Jean-Pierre Bacri s’en donne à cœur joie dans le rôle de ce traiteur en fin de carrière qui doit gérer une soirée qui part à vau-l’eau. Evidemment, on est dans un rôle fait sur mesure pour le Droopy officiel du cinéma français. Le reste de la distribution est assez hétéroclite avec un mélange d’acteurs reconnus (Hélène Vincent ou Suzanne Clément), d’autres venus du théâtre (Eye Haïdara ou Benjamin Lavherne) ou de la télé (Alban Ivanov ou William Lebghil) mais l’alchimie se fait dans l’ensemble plutôt bien.
Le revers de la médaille de cette manière de mettre en scène un grand nombre de personnages est qu’il y a un côté un peu trop stéréotypé donné à chacun des protagonistes. Ils n’ont finalement pas beaucoup de temps pour faire comprendre qui ils sont donc on est dans des caractères très marqués, souvent repérables par une caractéristique bien précise. C’est évidemment difficile de faire autrement mais, parfois, on préférerait presque qu’il y ait moins de personnages et qu’ils soient un peu plus finement esquissés. Et puis, les acteurs choisis pour les rôles sont parfois trop proches de ce à quoi on pouvait s’attendre pour eux. C’est par exemple le cas de Jean-Paul Rouve ou encore Gilles Lellouche, plutôt bons au demeurant. Peut-être qu’en échangeant les rôles, le contre-emploi provoqué aurait été plus drôle. Enfin, Toledano et Nakache prouvent encore qu’ils ont cette étonnante qualité de pouvoir passer en un rien de temps du rire aux larmes ou du grotesque à l’émotion. C’est par exemple particulièrement le cas de la séquence du ballon géant du marié (vous comprendrez si vous voyez le film) qui est au départ complètement burlesque et qui se transforme presque incidemment en un formidable moment de grâce. On pourrait dire qu’ils ne vont jamais véritablement au bout de leurs intentions mais je trouve que, dans leur façon de faire, c’est plutôt quelque chose de positif. Il en est un peu de même pour la toute fin du film, très jolie et émouvante alors que le choix aurait pu être fait de pousser au maximum une certaine logique catastrophiste. C’est comme si le duo souhaitait toujours retomber sur ses pattes, celles d’un cinéma populaire où pas grand-chose ne dépasse, au risque d’être un peu aseptisé mais qui possède suffisamment de charme pour emporter la mise. Mission encore réussie pour ce qui est définitivement installé comme le duo de la comédie française.