La Critique
Après plus de dix ans à alterner les films de super-héros (la trilogie du Dark Knight) et autres projets de plus en plus tournés vers la science-fiction (du Prestige à Interstellar en passant par Inception), voici que Christopher Nolan change radicalement de style pour aller vers un genre dans lequel on ne l’attendait pas forcément : celui du film de guerre. C’est aussi la première fois que le réalisateur britannique s’inspire d’une histoire vraie. Même si j’ai pu lire ci et là pas mal de personnes déçues de cette évolution (au moins pour un long métrage), arguant que Nolan allait se « perdre » dans un genre mineur, je me suis personnellement réjoui assez vite devant cette nouvelle. En effet, je trouve toujours excitant que des réalisateurs bien installés dans leur style prennent le risque de passer à autre chose. Et le film de guerre est un genre qui a connu tellement de déclinaisons au fil des années que je me demandais bien comment un réalisateur de la trempe de Nolan, spécialiste des œuvres spectaculaires, pourrait lui apporter sa touche propre. Et puis cet épisode de la débâcle de Dunkerque a quelque chose de fascinant et c’est même l’un des événements les plus importants de la Seconde Guerre Mondiale puisque les soldats revenus sont traités en vainqueurs et non en vaincus, même si Churchill ne fut pas vraiment de cet avis (c’est lui qui prononce cette fameuse phrase : « Les guerres ne se gagnent pas avec des évacuations »). D’ailleurs, c’est une bataille qui a déjà eu droit aux honneurs du cinéma, que ce soit avec des films propres (Dunkerque en 1958 ou Week-end à Zuydcoote en 1964) ou des scènes (le fameux plan séquence assez stupéfiant de Reviens-moi). Finalement, avec un tel matériel, Nolan parvient-il à faire le grand film que l’on est en droit d’attendre de sa part ?
Honnêtement, je ne qualifierai pas Dunkerque de chef d’œuvre car trop de petites choses m’ont un peu dérangé mais il n’en reste pas moins que c’est un vrai bon film, notamment parce que Nolan a réussi à faire quelque chose de différent de ce à quoi on pouvait s’attendre. Un peu à la manière dont Malick avait interprété à sa façon le film de guerre dans La ligne rouge (quelque chose de très contemplatif), Nolan livre une œuvre vraiment personnelle. Rien que pour cela, Dunkerque est un film qui mérite que l’on s’y intéresse de près. Ce qui est peut-être le plus étonnant avec ce long-métrage, c’est bien sa construction. Et j’avoue qu’elle m’a dérouté au départ. En effet, trois temporalités différentes, qui correspondent à autant de lieux (la plage/une semaine, la mer/un jour et l’air/une heure) sont intimement liées et s’entortillent l’une avec l’autre. Ainsi, à plusieurs moments, on retrouve une scène que l’on avait déjà pu voir avec un angle différent. Cela demande un certain effort de concentration par moments mais cette manière de rompre avec l’habituelle chronologie de ce genre de films est très intéressante car l’action se resserre peu à peu dans ce qu’elle a de plus important, et surtout, d’intense. Ainsi, la dimension temporelle est essentielle ici et c’est quelque chose que l’on retrouve presque toujours chez Nolan. D’ailleurs, cette manière d’enchâsser différentes temporalités m’a fait penser à Inception. Ce scénario permet aussi de mettre davantage l’accent sur ce que ressentent vraiment les personnages et non sur ce qui se déroule réellement lors de ces quelques jours (c’est aussi l’un des écueils, nous y reviendrons). Ainsi, Dunkerque devient assez vite une sorte de thriller où le danger est presque partout : même les alliés peuvent devenir des ennemis. Le compte à rebours est enclenché dès les premières secondes et, pendant plus d’une heure et demie, le décompte se fait de manière toujours plus oppressante.
Nolan a un vrai talent pour faire monter la tension, notamment grâce au montage et son film est ainsi d’une intensité assez formidable. En tant que spectateur, on ressent véritablement ce que les personnages peuvent vivre, que ce soit l’inquiétude, l’enfermement ou encore la délivrance. Certaines séquences sont même assez incroyables d’intensité, notamment celles qui se passent sous l’eau. Globalement, c’est visuellement impressionnant, avec une photographie de très grande qualité et des prises de vue souvent spectaculaires (en l’air, c’est même par moments stupéfiant). Nolan prouve donc une nouvelle fois qu’il est un formidable faiseur d’images. Et ce qui est vraiment intéressant, c’est que, d’une certaine manière, il arrive à trouver une esthétique qui lui est propre, où le sang est par exemple presque absent (un comble pour un film de guerre) et où le mouvement perpétuel semble érigé en règle de base (sauf pour le personnage du colonel responsable de l’évacuation qui, lui, ne bouge jamais). Mais, par-dessus-tout, ce qui m’a sans doute le plus marqué dans Dunkerque, c’est l’ambiance sonore. En effet, il y a très peu de paroles au cours du film, qui ressemble presque à du cinéma muet par moments. Mais, pour autant, rarement dans un long métrage, le son n’aura eu une telle importance. La partition de Hans Zimmer, présente pendant l’intégralité du long métrage, est ainsi pour beaucoup dans la réussite d’ensemble : quelques thèmes accompagnent et renforcent l’ambiance, par exemple avec ce bruit de sirène quasi-continu. Elle marque les changements de temporalités et d’espaces, elle créé parfois à elle toute seule la tension et elle parvient à le faire en n’écrasant pas non plus l’image. Les sons de bombes, de mitraillettes ou encore de bateaux qui coulent se fondent parfaitement dans cette bande originale. Cela donne vraiment une qualité de son incroyable. C’est évidemment une constante chez Nolan mais je trouve qu’il atteint ici des sommets.
Si le scénario de base est assez simple, on peut tout de même noter qu’il ne se veut pas « bêtement » moralisateur. En effet, chacun des personnages principaux a des réactions qui peuvent se comprendre en fonction du contexte. En ce sens, Dunkerque est un film qui interroge des grandes notions comme l’honneur, le patriotisme ou le devoir sans en faire des tonnes et en se basant plutôt sur l’expérience. Au rayon des choses qui m’ont un peu moins plu figurent deux éléments, dont l’un se comprend finalement bien. Il s’agit d’abord du fait qu’il manque un peu de fond sur l’opération Dynamo en elle-même. On arrive au cœur de l’action et on en repart presque directement. Le scénario de Nolan ne se veut en aucune manière didactique pour expliquer les principaux enjeux de cette bataille qui a pourtant une charge (à la fois militaire et symbolique) très importante. Même si, personnellement, ça m’a un peu dérangé (sans doute mon côté amateur de l’histoire, et surtout celle de la Seconde Guerre Mondiale), cela s’inscrit dans ce que le réalisateur veut faire de son film : plus une œuvre sensorielle que véritablement historique, au sens premier du terme. Et puis, il y a ces dix dernières minutes, que j’ai trouvé un peu en trop, notamment parce qu’elles font justement sortir du cadre strict de cette unité d’espace triple (plage/mer/air) qui constitue l’un des vrais points fors du film. De plus, elles versent dans un patriotisme un peu dégoulinant. Rien de bien choquant, mais voir ces dernières scènes supprimées m’aurait sans doute laissé une impression encore meilleure du film. Mais quand même, on se prend une sacrée claque avec ce film qui, à sa manière, et comme Il faut sauver le Soldat Ryan il y a une vingtaine d’années, va être une valeur étalon dans le genre du film de guerre. Et rien que ça, c’est déjà très fort.