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TimFaitSonCinema
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AMOUR

Georges et Anne, deux octogénaires, anciens professeurs de musique, vivent heureux dans leur bel appartement parisien. Quand un jour, Anne est victime d’une petite attaque cérébrale et ressort de l’hôpital paralysée du côté droit, leur équilibre et leur amour va être mis à rude épreuve.
Verdict:
Porté par un duo de comédiens au sommet, Amour est un film que l’on peut qualifier d’incroyable et d’inoubliable. D’une maîtrise formelle de tous les instants, ce long-métrage de Michael Haneke a sans aucun doute mérité sa Palme d’Or.
Coup de coeur:

Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant

La date de sortie du film:

24.10.2012

Ce film est réalisé par

Michael HANEKE

Ce film est tagué dans:

Drame amoureux Palme d'Or César du Meilleur film

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 La Critique


Aller voir un film qui a reçu la Palme d’Or a toujours quelque chose à la fois de terriblement excitant mais aussi d’un peu intimidant. C’est en tout cas un véritable évènement dans une année cinématographique, en tout cas pour moi. Sur les douze dernières qui ont été distribuées, j’en ai vu dix au cinéma, une en DVD (La chambre du fils) et j’en ai raté une, peut-être la plus oubliable, d’ailleurs (Fahrenheit 9/11). Sinon, j’ai rarement été vraiment déçu par un choix du jury, si ce n’est celui de 2010 qui avait primé le très étrange Oncle Boonmee,… qui m’était passé un peu au-dessus de la tête. Quand, en plus, avant la projection, trois « monstres sacrés » du cinéma français et même mondial viennent présenter le film en question, ça met encore plus dans un drôle d’état. Thierry Frémaux – directeur de l’Institut Lumière à Lyon et surtout connu pour son rôle de délégué général au Festival de Cannes –, Michael Haneke – l’un des rares réalisateurs doublement « palmerisé » à Cannes (ils sont huit au total) – et Jean-Louis Trintignant – sans doute l’un des plus grands acteurs français de l’histoire – étaient en effet présents pendant un quart d’heure avant que le film nous soit dévoilé.

Ils n’ont pas vraiment parlé du long-métrage en lui-même (ce qui est toujours compliqué avant que les spectateurs n’y aient eu accès) mais ont plutôt essayé de le replacer dans la filmographie du réalisateur autrichien. Et ce dernier en a convenu que ce film était peut-être le plus « doux » qu’il ait réalisé jusqu’à maintenant (c’est pour dire). Après plusieurs tentatives infructueuses jusqu’au milieu des années 2000, l’Autrichien francophone et francophile a enfin obtenu l’une des récompenses les plus convoités dans le monde du cinéma : la Palme d’Or cannoise. C’était en 2009 pour Le Ruban Blanc, un film assez magistral sur une série d’évènements étranges dans un village de l’Allemagne du début du vingtième siècle. Ce qui m’avait surtout marqué dans ce long-métrage, c’était sa beauté formelle : un noir et blanc magnifique et quelques scènes pas loin de la perfection. Pour Amour, Michael Haneke s’intéresse à un couple et sa façon de réagir devant la maladie et la fin de vie. C’est « drôle » car sur un thème identique (même si l’histoire et le traitement sont différents) vient de sortir un film assez formidable, Quelques heures de printemps qui, lui, s’intéresse plutôt à la relation mère-fils dans cette épreuve. C’est dire si le sujet est frontalement abordé mais aussi qu’il est marquant et, sans doute, « cinématographique ». Thierry Frémaux nous a juste prévenus avant de nous laisser découvrir le film : « vous ne vous sentirez sans doute pas pareil dans deux heures et c’est là la grandeur de ce film. ». Et il a vu juste…

La première séquence introductive nous informe sur la conclusion de l’histoire et la mort de cette femme. Aucun suspense ne sera introduit de ce côté-là et, ainsi, le film ne traitera non pas de la fin mais bien de la façon d’y arriver. Et tout commence véritablement par une scène dans une salle de concert. Au milieu de la foule, on aperçoit deux personnes âgées rayonnantes, surtout la femme, heureuses de pouvoir assister à ce récital de piano. Les premières notes s’élèvent et, à mesure que le morceau continue, on rentre peu à peu avec eux dans leur domicile : un appartement parisien, un peu vieillot mais de grande taille. On n’en ressortira plus car, par la suite, tout va se dérouler au cœur même de ce logement, dans une forme de huis clos tout à la fois touchant mais aussi étouffant. On pourrait prendre cela pour une sorte d’artifice de réalisation – comme on pouvait d’ailleurs le dire du noir et blanc du Ruban blanc – mais, selon moi, ce n’est pas du tout le cas. C’est plutôt une façon de montrer le changement radical que la maladie apporte dans leur vie. Elle les coupe peu à peu eu monde, et, d’ailleurs, le nombre de visiteurs est extrêmement limité. Il y a les concierges un peu insistants pour aider et quelques visites de la fille du couple. Mais, visiblement, cela ne leur apporte pas beaucoup de réconfort. Par contre, ce qui est assez étonnant, et là, c’est un vrai choix de scénario, c’est qu’on ne voit jamais les médecins et on sait juste ce qu’a cette femme à travers ce qu’on en voit et ce qu’en dit de façon lapidaire son mari. Les infirmières, elles, font quelques apparitions. Cela permet selon moi vraiment de placer le couple au centre du long-métrage et non la maladie. La perspective en devient alors clairement différente.

De plus, ce « huis clos », Haneke le gère à merveille. Il joue magistralement avec les perspectives en donnant des impressions d’ouverture ou de fermeture à l’aide des différentes portes mais aussi des fenêtres, parfois. Toute cette maitrise de la « géographie » de l’appartement lui permet en tout cas de renforcer son propos sur le cloisonnement de plus en plus présent dans la vie de ce couple, entre eux et le monde mais, aussi, malheureusement, entre eux, du fait d’une maladie de plus en plus présente et handicapante. D’ailleurs, le film s’achève sur un dernier plan de cet appartement, vide, avec une vraie perspective et une lumière éclatante, les portes ouvertes. Dernier symbole d’une fin de vie finalement plus heureuse qu’on pouvait le croire ? Dans toute sa réalisation, Michael Haneke nous prouve une nouvelle fois son incroyable maitrise formelle et son extrême sobriété. Celle-ci se retrouve même jusque dans les génériques, sans aucune musique. Tout cela pourrait donner une forme de rigidité mais, au contraire, le réalisateur nous offre plutôt une succession de tableaux, sans aucun artifice et caractérisés par une très grande fluidité. Il y a peu de mouvements de caméra, un grand soin donné à la lumière et une vraie importance du cadre – les gros plans sont toujours signifiants, comme les plans plus larges. Il gère aussi parfaitement le rythme en choisissant avec soin les épisodes. Les ellipses sont nombreuses et permettent de se concentrer sur ce qui a du sens et est vraiment important. Cette réalisation permet surtout d’éviter l’un des grands pièges de ce type de film : tomber dans le pathos. En posant un regard finalement assez froid, sans emphase et sans effet sur une réalité, Haneke donne sa vision propre de cette fin de vie d’un couple. Il donne assez peu de clés au spectateur mais lui laisse plutôt le « loisir » de s’inventer ce qu’il souhaite.

Dans la réalisation, la musique a elle aussi un rôle très important dans le film. D’abord parce que l’homme et la femme étaient professeurs de musique mais aussi parce que leur dernière sortie commune est justement un concert. Il n’y a que quatre ou cinq passages musicaux au cours du film, ce qui est très peu mais qui montre aussi que chaque fois que le réalisateur décide d’en insérer, cela a un sens et est vraiment signifiant. Et en plus, vu que c’est magnifique (Schubert et Bach), ça ne gâche rien. Cette scène où Anne joue à son mari un Impromptu de Schubert est tout simplement magique et terriblement émouvante… Tout cela donne une succession de scènes souvent magistrales et le véritable « fil rouge » du film est en fait à voir autour du visage d’Anne, jouée par Emmanuelle Riva. Alors que celui-ci est rayonnant lors de la première séquence, il va peu à peu se décomposer au fil du film, montrant la déchéance progressive de cette femme qui ne trouve pas toujours le courage de se battre contre la fatalité. Face à elle, on trouve son mari, qui essaie de toujours lui témoigner son amour même si ce n’est pas évident. C’est en cela un vrai film sur le couple, sur l’amour inconditionnel et c’est pourquoi Amour est à la fois si beau et si terrible. Si tout devait être résumé dans une séquence, ce serait l’une des dernières où on a tout. Par respect pour ceux qui n’ont pas encore vu le film, je ne peux la raconter mais c’est incroyable comme, en un seul plan, on a toutes les formes d’amour entre ces deux êtres. Le genre de séquences qui reste très longtemps gravé dans les mémoires. Tout comme le film dans son ensemble d’ailleurs. Il n’y avait qu’à voir le silence pesant lors du générique et en sortant de la salle pour comprendre que je n’étais pas le seul à m’être pris une bonne claque cinématographique.

Avant la séance, Michael Haneke nous avait dit que Amour était avant tout un film d’acteurs et que c’étaient grâce à eux qu’il était si bon. Comme on a pu le voir, c’est aussi une grande réussite grâce à la réalisation mais il faut avouer que le couple formé par Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva, deux des acteurs les plus âgés à encore tourner (83 et 85 ans respectivement) nous offre une immense performance. Je trouve que c’est encore plus le cas pour Emmanuelle Riva qui joue à la perfection un rôle qui n’a pas du être facile à appréhender, surtout à son âge. Jean-Louis Trintignant est lui aussi assez formidable. Les deux sont même parfois déchirants. Alors oui, pour toutes ses raisons, Amour est un film forcément dur car il nous met de plein fouet en face d’une réalité difficile à accepter, mais c’est aussi sa grande force de le faire avec tant de maitrise. Par rapport à ce qu’a dit lui-même Haneke de son film (il le considère comme le plus doux), je ne suis pas en mesure de juger, ne connaissant pas sa filmographie, mis à part, donc, ses deux derniers films. Mais, tout ce que je peux affirmer, c’est que Amour est sans aucun doute l’un des chocs de cette année au cinéma, et même plus que cela tant ce long-métrage marque profondément le spectateur et l’invite à réfléchir sur sa propre vie mais aussi sur celle de ses proches. Encore merci Monsieur Haneke pour ce grand moment de cinéma et aussi un vrai remerciement et une admiration pour les deux acteurs principaux, l’un pour être sorti d’une retraite bien méritée et l’autre pour continuer sa carrière alors qu’elle aussi aurait bien le droit de se reposer…


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MHT 04.11.2012, 18:24

Il y a maintenant plus d’une semaine que j’ai vu le film Amour, j’avais écrit un commentaire d’ailleurs dès le lendemain mais les contraintes de l’informatique ont fait que je l’ai perdu et je n’ai pas eu le courage de le recommencer de suite.
Comme c’est un film que l’on n’oublie pas, je m’y remets aujourd’hui, d’autant que j’avais promis un commentaire sur ton site et qu’on me l’a réclamé !
Toujours est-il que j’avais lu ta critique, fort belle et fort juste, avant d’aller voir le film et j’avais à la fois très envie et très peur de me confronter à ce genre de cinéma. Je l’ai relue après avoir vu le film, et là, je l’ai trouvée encore plus pertinente, m’ouvrant des pistes d’analyse que je n’avais pas forcément vues comme par exemple le jeu sur les ouvertures de portes et fenêtres de l’appartement, le rôle de la musique, l’aspect dans une certaine mesure optimiste du retour de la fille de la maison dans l’appart à nouveau clair et lumineux à la fin, etc….Bravo donc et merci d’éveiller ainsi notre sensibilité !
Moi, l’expression qui m’est venue dès la sortie de la salle de cinéma, c’est «insoutenable dureté de l’amour » et en même temps « insoutenable douceur de l’amour.»
Et puis très vite, et en reprenant d’ailleurs certains points de ta critique, il m’est apparu que tout le film s’apparentait à un spectacle de théâtre et plus précisément qu’il était construit à la manière d’une tragédie classique. D’abord parce que, dès le début et comme dans un chœur antique grec, l’issue fatale est annoncée, il n’y aura donc pas de suspense à ce niveau là, le spectateur est averti et son esprit sera d’autant plus disponible pour se concentrer sur le comment on en arrive là. De plus, les trois unités sont admirablement respectées. Bien sûr, celle qui marque le plus le film est l’unité de lieu. Tout se joue dans l’appartement, ce qui n’est pas sans rappeler es lieux clos de la tragédie classique qu’on ne peut fuir par exemple le palais de Néron où l’héroïne est retenue prisonnière, un peu comme ici la malade est prisonnière de son corps cloîtré dans cet appartement. Seules quelques entrées et sorties de personnages secondaires, la fille du couple, les concierges, le jeune musicien, scandent l’évolution des scènes comme au théâtre. Mais le drame se jouera à l’intérieur même des murs clos. L’unité d’action est elle aussi respectée car tout s’organise autour de la maladie et de la déchéance physique du personnage principal au point même que son mari ne s’accordera aucune autre activité en dehors de s’occuper d’elle, comme s’il renonçait lui aussi à se disperser. Toute l’énergie de tous les personnages est centrée sur une seule action, perdue d’avance d’ailleurs. Et puis, l’unité de temps est elle aussi perceptible même si elle peut sembler à peine plus diluée. Il y a des ellipses narratives qui densifient le film et raccourcissent le temps, et tout se joue très vite. La maladie progresse rapidement et inexorablement surtout : et les personnages, le mari, la fille, les infirmières, les médecins même si on ne les voit pas etc…ont beau faire et se battre vaillamment comme de beaux diables contre le destin qui s’est abattu sur la malade et sa famille, ils sont coincés dans les mailles d’un filet plus fort qu’eux et au final, c’est le destin qui l’emporte. Mais c’est surtout au niveau de la diction des personnages que j’ai été le plus transportée au théâtre. D’ailleurs, au début, cette diction lente qui prononce toutes les syllabes comme dans l’alexandrin classique m’a gênée car je la trouvais artificielle justement. Et puis, chemin faisant, je m’y suis habituée et bien plus, j’ai trouvé qu’elle contribuait à situer les personnages dans leur milieu et à les distancier. Car en fait, cet homme et cette femme, au-delà de leur amour encore très vivant, sont assez distants et pudiques l’un envers l’autre, on les voit peu se toucher (en dehors des gestes médicaux), ni s’embrasser et leur connivence me semble avant tout intellectuelle. En ce sens, ce choix du phrasé convient parfaitement et ajoute à la théâtralisation tragique de ce film.
Quand on sort de ce genre de spectacle, on n’est plus tout à fait comme avant...Quelque part, on a souffert. C’est assez perturbant et pour certains, insoutenable, comme pour une amie qui était avec moi. En cela Amours est un film exceptionnel.
Reste à savoir pourquoi on va au cinéma. Seulement pour rire et se distraire, ce que j’aime bien aussi ou est-ce qu’on accepte d’y vivre des sensations parfois pénibles qui nous bousculent…Pour moi, y a pas photo, je suis heureuse d’avoir vu ce très beau film.


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