La Critique
Actrice, scénariste et réalisatrice, Emmanuelle Bercot commence à se faire un nom dans le cinéma français. C’est surtout le succès de Polisse, qu’elle avait coécrit avec Maïwenn et où elle jouait également, qui lui a donné un vrai poids et sans doute la force pour réaliser un nouveau film, neuf ans après son dernier (entre temps, elle avait mis en scène le dérangeant téléfilm sur la prostitution étudiante, Mes chères études et l’un des segments des Infidèles). Et pour s’assurer d’entrée une certaine adhésion du public (mais aussi de la critique), rien de tel que de construire le film autour d’une actrice à la fois légendaire et très actuelle : Catherine Deneuve. En effet, si ses rôles les plus marquants commencent sans doute à dater maintenant, il n’en reste pas moins que cette comédienne continue à beaucoup tourner, et dans des styles très différents (de la comédie Potiche au film musical Les bien aimés en passant par des apparitions dans des films plus « sérieux »). Et, il faut bien le dire, elle conserve une forme d’aura qui semble la préserver de toute critique (et les films qu’elle porte avec) auprès d’une bonne partie de la presse française. Alors, forcément, quand un film se construit entièrement autour de sa personne, c’est sûr et certain que l’on va avoir du mal à trouver beaucoup de contradicteurs. Est-ce la seule raison pour laquelle Elle s’en va a bénéficié (et bénéficie encore, d’ailleurs) d’une si bonne presse ? Parce que, honnêtement, ce film est bien plus que limite et je le qualifierais même de mauvais, tout simplement. Surtout, plus que son côté profondément inintéressant, ce long métrage m’a marqué pour son côté excessivement gênant et même vraiment dégoutant par moments. Je vais m’en expliquer.
Passons assez rapidement sur l’histoire qui, pour le coup, n’est vraiment pas intéressante et qui confirme ma théorie selon laquelle le principe du road-movie n’est pas vraiment une bonne façon de faire. On accumule des situations, on voit défiler des personnages, mais, si ce n’est une personne (ou plusieurs) qui maintiennent un fil directeur, il manque souvent quelque chose comme un minimum de cohérence. Là, c’est vraiment le cas car tout ce qui suit le départ de Bettie, qui se fait sur un coup de tête et sans y avoir visiblement vraiment réfléchi, n’est qu’une suite de situations, entrecoupées par des vues de routes depuis la Mercedes avec différentes musiques (la base ultime du road-movie). Et, la plupart du temps, c’est vraiment inintéressant et creux au possible. A travers ce voyage, c’est bien entendu le portrait d’une femme qui est dépeint mais, en tant que spectateur, on arrive jamais à s’y attacher ni même à réellement s’en soucier… Après des rencontres toutes plus insignifiantes les unes que les autres, et qui ont déjà bien commencé à saper mon moral, Bettie finit par retrouver son petit-fils qu’elle n’a presque jamais vu et doit l’emmener voir son grand-père (comme par hasard, sa fille l’appelle à ce moment-là…). On se dit alors que le long métrage va réellement prendre son envol avec un vrai « enjeu » qui apparaît et un garçon qui fait un peu contrepoint à cette femme qui commence à nous horripiler. Mais le souci, c’est que ça empire plutôt et le film s’embourbe de plus en plus, de situations attendues en rencontres grotesques jusqu’à une partie finale à la fois tellement prévisible (tout est annoncé dès le premier plan où l’on voit cet homme) mais surtout assez pathétique dans ce qu’elle montre et la manière dont elle le fait.
Car si Elle s’en va se contentait d’être tout simplement insignifiant dans ce qu’il raconte, ça pourrait encore passer. On en a vu d’autres qui s’en sont sortis au moins honorablement avec un scénario bancal ou tenant sur une serviette en papier. Mais là, il y a tout de même tout un aspect du film qui m’a dérangé, et cela de plus en plus fort alors que le film avançait. A certains moments, c’est même un sentiment de dégout qui a fini par m’envahir. Mais qu’est-ce qui peut être si choquant dans un film a priori « inoffensif » ? C’est tout simplement l’image qu’est donnée dans ce film d’une certaine partie de la population française. Lorsqu’elle traverse la France d’Ouest en Est, Bettie rencontre de nombreuses personnes et cela toujours à la campagne. Et ce qui est particulièrement incroyable, c’est tous les clichés que ce Elle s’en va peut véhiculer, comme par exemple le fait qu’on regarde Jean-Pierre Pernault dans tout le village, que, à la campagne, on est habillé comme il y a cinquante ans,… La liste est très longue mais plus que des faits vraiment précis, c’est une impression qui se dégage et qui m’a réellement mis mal à l’aise plus d’une fois. C’est le cas par exemple de toute cette séquence dans le dancing. Il y a un regard posé sur les gens qui sont dedans que j’ai ressenti comme méprisant et même moqueur. Et ce n’est pas du tout un cas isolé. La séquence de l’homme âgé qui n’arrive pas à rouler une cigarette m’a semblé être le paroxysme de cela et m’a rebuté au plus haut point. Alors soit je n’ai pas compris ou voulu comprendre ce que montrait réellement la réalisatrice, soit son film est vraiment ignoble dans le regard qu’il porte sur ce que l’on pourrait qualifier de « France profonde », même si je préfère parler de France rurale. Et je ne dirai même pas un mot de ce qui est montré à propos de la cigarette car c’est beaucoup trop fréquent dans les films même si c’est amplifié ici. Fumer est vu comme le seul moyen pour se sortir de ses problèmes et s’offrir un temps de repos. Je n’évoquerai pas le terme d’ « apologie de la cigarette » mais la place qui lui est donnée dans tout le film m’a vraiment agacé et presque choqué.
En enfin, dernière chose, qui va peut-être passer pour une évidence : pour faire un film, il faut des acteurs et actrices qui savent jouer. Et oui, c’est aussi simple que cela. Emmanuelle Bercot s’est sans doute dit qu’en prenant l’une des plus grandes comédiennes françaises de l’histoire en rôle principal, tout allait marcher comme sur des roulettes. Sombre erreur… Alors, oui, Catherine Deneuve est plutôt pas mal, donnant un peu de corps à cette femme qui effectue ce voyage sans trop évoluer dans son caractère. Mais elle paraît toujours un peu perdue, en décalage avec ce qui se passe réellement, comme si elle ne faisait pas vraiment partie du film et qu’elle le traversait plus qu’elle ne l’incarnait véritablement. Il faut dire qu’elle n’est pas servie (ce qui est le comble, quand on tient un restaurant !) par la distribution qu’on lui a collée autour. D’abord, le gamin est (très) mauvais. Même s’il faut un peu d’indulgence pour les enfants dans les films, là, ce n’est juste pas possible. A aucun moment il n’est véritablement crédible (qu’il chante, qu’il pleure ou qu’il rigole d’ailleurs). Mais que dire de la performance des deux néo-comédiens que sont Camille (chanteuse) et Gérard Garouste (peintre et sculpteur) ? Ce n’est pas une mauvaise chose que de donner des rôles à ce genre d’artistes. Mais il faut quand même s’assurer avant qu’ils pourront jouer correctement. Camille est ainsi totalement lamentable, surjouant comme si elle faisait du théâtre (et encore, ça ne passerait même pas) et se rendant à une vitesse record totalement insupportable dans ce rôle de fille à la mère indigne. Gérard Garouste n’est pas très bon non plus mais pour des raisons différentes : dans une partition qui aurait exigé une certaine présence, lui n’en fait aucunement preuve. Ce sont donc des paris totalement ratés et qui enfoncent encore un peu plus ce film, qui s’avère vraiment être l’une des très grosses déceptions de l’année cinématographique. Il faudra s’en remettre…