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Murielle et Mounir s’aiment et décident de se marier. Ils vivent chez le docteur Pinget qui accueille Mounir depuis qu’il est petit et lui offre une vie aisée. Peu à peu, alors que des enfants naissent, l’atmosphère devient de moins en moins saine et Murielle voit sa vie lui échapper. Jusqu’à commettre l’impensable.
Verdict:
Un film assez impressionnant dans la façon qu’il a de montrer tous les rouages qui ont pu pousser une femme à commettre un acte ignoble et cela sans porter de jugement. Dans le rôle de la mère, Emilie Dequenne est excellente.
Coup de coeur:

Emilie Dequenne

La date de sortie du film:

22.08.2012

Ce film est réalisé par

Joachim LAFOSSE

Ce film est tagué dans:

Drame familial

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 La Critique


Après un premier film pour se remettre en condition, voilà que j’attaque un long-métrage beaucoup plus rude, plus âpre et surtout, beaucoup plus dérangeant. Inspiré librement d’un fait divers sordide, celui d’une femme ayant mis fin à la vie de ses cinq enfants, À perdre la raison est de ces films qui mettent vraiment mal à l’aise le spectateur ou qui, dans tous les cas, ne peuvent pas le laisser indifférent. Joachim Lafosse, réalisateur belge qui s’intéressait déjà dans ses précédents films aux rapports compliqués qui peuvent exister au sein des familles, a décidé d’adapter cette histoire pour en faire un film. Un tel procédé pose toujours question. En effet, de plus en plus souvent, aujourd’hui, des faits divers sont la base de longs-métrages, comme si les cinéastes n’avaient pas vraiment d’idée ou qu’ils cherchaient par ce moyen à toucher un public. Honnêtement, je ne crois pas que ce soit l’intention de ce réalisateur puisque son film, À perdre la raison, se base vraiment sur la façon d’arriver à l’extrémité à laquelle cette mère s’est soumise et non sur le faits-divers en lui-même.

D’ailleurs, d’emblée, cette question est évacuée puisqu’il n’y a pas de mystère sur la finalité du film. En cinq minutes et deux séquences particulièrement fortes, on sait qu’une mère a tué ses quatre enfants. Ce n’est finalement pas là que réside l’enjeu du film (et tant mieux car cela aurait donné lieu à un macabre suspense). Non, ce que cherche à montrer Joachim Lafosse, c’est le processus tout entier qui a conduit une femme et une mère aimante à commettre une telle horreur. Au départ, c’est l’amour qui unit Murielle et Mounir, mais on comprend très vite qu’un troisième personnage est omniprésent dans ce couple : il s’agit du « père » adoptif de Mounir, médecin assez fortuné. Il n’hésite pas à accueillir les jeunes mariés et à leur permettre de vivre confortablement. Mais, peu à peu, les relations entre les trois personnages centraux vont se dégrader notamment parce que ce médecin prend une place de plus en plus importante au sein de la famille. De plus, son attitude est toujours trouble, entre une générosité parfois débordante et une volonté presque non dissimulée de contrôler totalement ce couple, notamment par l’intermédiaire de Mounir, avec qui la relation est assez étrange puisqu’il lui fait toujours comprendre que, sans son aide, ce dernier ne serait rien.

Là où le film est particulièrement réussi, c’est dans sa façon de montrer par petites touches l’évolution dans le cadre familial mais surtout chez cette femme qui commence, au fil des naissances, à ne plus vraiment tout contrôler dans sa vie. Ces changements sont montrés à travers différentes séquences, soit avec ses enfants, soit avec Mounir ou encore avec le docteur Pinget. A chaque fois, c’est une pierre de plus dans les tourments de la jeune femme et c’est suggéré de façon très intelligente car le spectateur sent que rien n’est laissé au hasard et que tout, absolument tout, participe de l’horreur du dénouement. Mais c’est aussi à travers les changements physiques et dans la façon de s’habiller que l’on peut percevoir les changements. Peu à peu, elle se renferme, prend de moins en moins soin d’elle et s’habille dans des tenues toujours plus informes, notamment de grandes robes qui font furieusement fait penser à des habits de religieuses. Je me demande si c’est fait exprès mais je trouve personnellement cela trop gros pour ne pas être voulu par le réalisateur.

Pendant plus d’une heure et demie, c’est en fait une longue descente aux enfers dont on connaît les conséquences qui nous est donnée à voir et c’est pour le moins gênant. Parfois, on a envie de secouer les protagonistes de ce drame et leur dire qu’il faut que leurs comportements changent au plus vite. En tant que spectateur, on se sent impuissant et c’est un sentiment assez terrible puisqu’on voit véritablement ce qui se joue sous nos yeux et on ne peut rien faire. On n’en n’arrive pas à l’extrémité de « soutenir » cette femme mais, au moins, ce film nous permet de la comprendre et de prendre conscience les mécanismes qui l’ont conduit à ce qu’elle finira par faire. D’ailleurs, cette « séquence de l’horreur » est tout simplement incroyable car tout se passe dans le hors-champ et c’est encore pire que si on nous le montrait de façon claire et nette. On sait ce qui se passe derrière la cloison et c’est en ce sens particulièrement dur. À perdre la raisonsoulève quelques autres questions, notamment celle de l’identité (les enfants sont-ils plus belges que marocains) et celle des mariages arrangés, qui sont monnaie courante dans le film et qui participent au climat de plus en plus dégradé qui accompagne cette famille. Mais ce n’est pas vraiment le cœur du récit.

Pour que soient montrées au mieux les relations de ce trio, il fallait de bons acteurs et c’est plutôt le cas même si je reste assez circonspect devant la performance de Tahar Rahim. Son rôle de père de famille effacé mais capable de vraies crises de colère est assez difficile à appréhender. Tout comme l’est d’ailleurs celui joué par Niels Arestrup. Ce dernier s’en sort tout de même très bien pour interpréter ce médecin qui renforce peu à peu son emprise sur le couple, quitte à l’étouffer de plus en plus. Enfin, c’est le rôle de cette femme qui est le plus important et on peut vraiment dire qu’Emilie Dequenne le joue de façon incroyable. Pourtant, sa performance est très difficile à juger du fait de la personne qu’elle interprète. En tant que spectateur, on sait ce qu’elle a fini par faire et on fait inconsciemment tout pour la repousser. Mais, au cours du film, l’actrice belge découverte par les frères Dardenne impose sa présence à la fois discrète et forte, jusqu’à une séquence hallucinante, celle de la voiture, où sa vraie nature. C’est vraiment le type de plan qui peut faire gagner un César ou au moins une nomination. D’ailleurs, elle a remporté le Prix de la meilleure interprétation à Cannes dans la catégorie Un certain regard. Cela me paraît tout à fait mérité. Tout cela donne au final un film qui mérite plus qu’un coup d’œil même s’il ne laissera pas le spectateur indifférent, loin de là. Mais c’est aussi le rôle du cinéma de ne pas toujours laisser celui qui va voir un long-métrage dans une forme de confort…



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