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MARIE HEURTIN

Marie Heurtin est sourde et muette. De fait, elle est incapable de communiquer avec le monde extérieur, et dans cette France rurale de la fin du 19ème siècle, sa vie est terrible. Elle se rend dans un institut où des religieuses s’occupent des jeunes filles sourdes et, malgré les difficultés, Sœur Marguerite va tout faire pour l’ouvrir à la vie. Entre elles, une relation unique va alors naître…
Verdict:

Marie Heurtin est l’un des vrais jolis films de l’année car, même si on a le sentiment de passer à côté d’un immense long métrage, Jean-Pierre Améris parvient à rendre et à faire ressentir au spectateur beaucoup de choses, avec une réalisation à la fois épurée mais très travaillée. Il livre finalement une œuvre très émouvante, poignante par moments et portée par une Isabelle Carré toujours aussi exceptionnelle.

Coup de coeur:

Isabelle Carré

La date de sortie du film:

12.11.2014

Ce film est réalisé par

Jean-Pierre AMÉRIS

Ce film est tagué dans:

Drame historique

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 La Critique


Depuis qu’il a débuté sa carrière et qu’il s’est fait connaître, notamment grâce à son deuxième film, remarqué à Cannes en 1996 (Les aveux de l’innocent), Jean-Pierre Améris a réussi à se faire sa place dans le cinéma français, même s’il n’a jamais non plus délaissé la télévision puisqu’il a tourné de nombreux téléfilms au cours des vingt dernières années. Sans être trop connu du grand public, il a  une filmographie tout à fait solide, constituée de longs métrages qui n’ont jamais vraiment fait parler d’eux. Améris, c’est en fait ce que l’on peut appeler un réalisateur discret. Et, personnellement, je l’avais découvert avec une jolie petite surprise de fin d’année 2012. En effet, Les émotifs anonymes était un film vraiment loin d’être déplaisant et où le réalisateur parvenait même à faire entendre une petite musique qui lui était propre. Par contre, son long métrage suivant m’avait très fortement déplu : L’homme qui rit était complètement raté à tous les points de vue et, justement, j’avais trouvé que le metteur en scène s’était un peu perdu en voulant trop en faire et en surlignant tout son propos (déjà pas bien folichon) dans une esthétique plus que douteuse. Pourtant, bizarrement (ou pas, finalement), c’était sans doute le film d’Améris dont on avait le plus parlé (présence de Depardieu au casting, adaptation de Victor Hugo,…). En 2014, le réalisateur revient un peu dans l’ombre avec un long métrage qui, pour le coup, n’a pas fait beaucoup de bruit à sa sortie il y a un mois à peine. Il faut dire que, sur le papier, Marie Heurtin possède à peu près tous les arguments qui peuvent faire peur : inspiré de faits réels, bons sentiments probables, sujet pas très original sur le papier. Bref, il a fallu un peu que je me force (et que l’on me force pour dire les choses honnêtement) pour y aller. Et je remercie vraiment celle qui l’a fait car j’en suis ressorti en grande partie conquis mais aussi frustré.

 

C’est en effet un sentiment assez étrange que j’ai ressenti en ressortant de la séance et qu’il n’est pas vraiment aisé à expliquer. Je vais essayer tout de même. Honnêtement, ce film m’a plu, par moments ému voire bouleversé et je le recommanderais sans souci à tout le monde. Je m’en expliquerai davantage ci-dessous. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de penser que l’on n’est pas passé loin du tout d’un film extraordinaire, et je pèse bien mes mots. Ainsi, j’ai beaucoup repensé à un long métrage auquel il m’a fait penser (pas du tout sur le même sujet) : Quelques heures de printemps de Stéphane Brizé (autre réalisateur français pas très huppé mais efficace) qui, justement, sur un sujet potentiellement « casse-gueule », réussissait à être à la fois profond, émouvant, éprouvant par moments et finalement assez exceptionnel. Selon moi, Marie Heurtin ne parvient jamais à atteindre ce niveau, peut-être du fait d’un petit manque d’ambition du réalisateur. Mais, en même temps, j’aurais du mal à lui reprocher puisqu’il revient là à certains de ses fondamentaux, alors qu’il s’était un peu perdu avec son long métrage précédent et puis, clairement, Jean-Pierre Améris ne prend pas son film pour ce qu’il n’est pas. Il ne veut pas faire de Marie Heurtin un « grand film » mais préfère plutôt quelque chose d’assez « intimiste » : peu de personnages, une économie de moyens dans la réalisation (du moins en apparence), une simplicité narrative,… C’est d’une certaine manière la force du long métrage car cela permet de se concentrer sur ce qui apparaît comme l’essentiel (la relation entre une jeune sourde-muette et une Sœur prête à tout pour l’aider) mais il y a aussi de multiples questions qui sont effleurées et jamais réellement soulevées. C’est le cas par exemple de la Foi (on ne sait presque rien de cette Sœur Marguerite, alors qu’on voudrait vraiment en apprendre davantage sur son parcours) ou encore sur la problématique de l’enfermement (subi pour l’une et choisi pour l’autre). Autant de questions qui auraient pu donner un peu plus de consistance à des personnages qui en manquent parfois.

 

Une fois que l’on a dit tout cela (qui est loin d’être négatif car c’est aussi ce qui fait la beauté de cette œuvre), il faut quand même revenir sur ce qui fait de Marie Heurtin un très joli long-métrage. Déjà, ce qui est assez « amusant », c’est la manière dont ce film fait en quelque sorte la synthèse de deux précédents : une rencontre entre deux personnes qui doivent apprendre à communiquer (ce qui est quand même au centre des Emotifs anonymes) et la question de la différence et du handicap physique (au cœur de L’homme qui rit). Et Jean-Pierre Améris parvient ici très bien à lier les deux. Et il le fait avec une vraie capacité à être extrêmement tendre et respectueux avec ses deux personnages principaux. Pourtant, leur relation n’est vraiment pas facile au début (j’ai rarement vu un film où ça se battait autant) mais, grâce à un déclic (et il faut voir le visage de Sœur Marguerite à ce moment), tout va se transformer. Je regrette peut-être un peu qu’autant de temps soit passé sur la période compliquée et que, ensuite, l’apprentissage soit montré aussi rapidement. Selon moi, il y a là un petit déséquilibre un peu dommageable. Le réalisateur parvient en tout cas parfaitement à rendre les liens exceptionnels qui se nouent entre ces deux êtres. C’est aussi sans doute du au talent des deux actrices principales puisque Ariana Rivoire, dont c’est la première apparition à l’écran et qui est réellement aveugle, est très convaincante dans ce rôle. Et puis il y a Isabelle Carré, une nouvelle fois incroyable. Elle incarne ici tellement bien la douceur mais aussi la persévérance de son personnage. Une nouvelle fois, il faudra compter avec elle quand on parlera des nominations aux Césars. Mais, au-delà de cela, ne tient-on pas avec elle tout simplement la meilleure actrice de sa génération ? En tout cas, c’est une question qui se pose légitimement.

 

La réalisation, elle, est particulièrement épurée puisque Améris ne fait pas de flonflons ou de grands effets de caméra (sauf peut-être pour la séquence finale) et il se sert d’une musique elle aussi parfaitement dans le ton et pas trop envahissante. Mais, en même temps, on sent que la mise en scène est extrêmement travaillé, notamment cette volonté de toujours aller chercher les mains car c’est là où tout se passe ou presque. Rien n’est laissé au hasard dans la mise en scène puisque tout a son importance et aucune séquence ou aucun plan n’est gratuit. Ainsi, on pourrait trouver à certains moments les scènes de « lutte » un peu longues mais elles sont aussi un moyen de montrer la souffrance qui est induite pour Sœur Marguerite qui, à certains moments, est prête à abandonner mais qui, finalement, ne renoncera jamais, jusqu’à « donner sa vie ». Et puis il y a quelques séquences absolument bouleversantes qui font, par moments, basculer le film dans une autre dimension. S’il ne fallait en retenir qu’une, ce serait cette rencontre avec ses parents, alors qu’elle a appris à communiquer. Au-delà de l’intense émotion provoquée par ces retrouvailles, la façon dont, peu à peu, Sœur Marguerite s’éloigne et sort du champ est à la fois d’une grande beauté mais aussi un modèle de maîtrise de mise en scène, tout en délicatesse. Enfin, Marie Heurtin apparaît aussi comme un film « positif » sur la religion, ce qui est suffisamment rare pour être signalé. Mais, en même temps, on peut se demander si cela est du au fait que, justement, le scénario n’aborde jamais vraiment la question du fait religieux. En fait, ça pourrait se passer dans un établissement traditionnel et ce serait exactement la même chose… Cela permet au film de vraiment se concentrer uniquement sur ce qui intéresse le réalisateur mais, en même temps, on garde une petite part de frustration. Mais, quand même, quelle jolie surprise…



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jct 10.12.2014, 16:50

"Le scaphandre et le Papillon" tient enfin son successeur. Anne Consigny et Isabelle Carré sont deux de nos très grandes actrices. "Marie Heurtin" est pour moi le film de l'année, avec "Ida". Et curieusement, dans les deux films, de jeunes religieuses qui sont filmées dans des situations ou des activités sans lien direct avec la religion. Un sorte de Bildungs film avant l'entrée définitive au couvent pour Ida, l'oeuvre d'une vie pour Marguerite.
Pour moi, et c'est là que je diffère avec Tim, l'économie de moyens, la simplicité de la narration, le refus de toute emphase technique participe de l'intense émotion que dégage ce film. A la scène des retrouvailles, ajoutons celle du service à la malade dans sa chambre -j'essaie de ne pas déflorer le film...- qui est déchirante. J'ai pleuré d'un bout à l'autre de la deuxième moitié de ce film, un GRAND film injustement ignoré.

Petit coup de gueule : comment les médias passent-ils à côté de ce bijou ?
Allez le voir, s'il passe encore chez vous. Et faites passer le mot. Un César pour Isabelle Carré ? Evidemment. L'aura t'elle pour ce film ? Je n'y crois pas un instant malheureusement.
Vive 2014, l'année des religieuses !
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jct 10.12.2014, 18:20

participeNT.... Excusez la faute, que la Mère Supérieure me pardonne !
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Jean-Louis Montémont 19.08.2015, 01:43

Il me semble incroyable que vous n'ayez pas remarqué et par conséquent souligné que Marie Heurtin n'était pas seulement sourde, donc muette, mais aussi aveugle! D'où tout le jeu des acteurs et actrices, formidable, en ce qui concerne le toucher et surtout l'odorat!


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