La Critique
S’il y a bien une chose de sûre dans le monde du cinéma, c’est que l’on n’a pas fini d’entendre parler de Xavier Dolan. Il faut dire que depuis cinq ans et son premier film (J’ai tué ma mère), le très jeune réalisateur québécois (il est né après moi, ça donne presque envie de déprimer…) ne fait rien pour qu’on l’oublie. D’abord parce qu’il a sorti un film par an depuis cette époque (sauf en 2011) et que tous ont été remarqués par la critique mais aussi par le Festival de Cannes, où il a presque toujours eu porte ouverte, que ce soit en compétition officielle ou dans les autres sélections. En plus, il a été au cœur d’une polémique en France lorsqu’il a réalisé le clip d’une chanson d’Indochine (College boy), vidéo qui avait fait beaucoup parler à l’époque pour sa violence (Dolan se défendant en disant qu’il avait voulu montrer ce que pouvait être la violence en milieu scolaire). Au-delà de cette controverse, ce clip n’est pas inintéressant par rapport au film qui nous préoccupe ici – Mommy – car l’acteur principal est le même (Antoine Olivier Pilon) et, surtout, le format carré (aussi appelé 1:1) y est aussi utilisé, deux points essentiels dans son nouveau long métrage. Mais si les premiers films de Xavier Dolan n’ont pas été de gros succès publics (ses quatre premiers films n’ont jamais dépassé les 150 000 entrées en France même si Mommy et ses 340 000 billets en première semaine vont faire changer la donne), le québécois s’est aussi fait un nom dans le milieu des amateurs de cinéma essentiellement parce qu’il fait partie de ces réalisateurs qui ne peuvent pas laisser indifférents, tant sa mise en scène est particulière et ses manières d’être parfois assez déroutantes.
Commençons par ce deuxième aspect, sans doute le moins important d’un pur point de vue cinématographique mais son attitude lors du dernier Festival de Cannes – revendiquant ouvertement la Palme d’Or, il avait été très fayot envers la Présidente du Jury, Jane Campion lors de son discours de réception du Prix du Jury (quand même) – avait renforcé cette impression qu’il a toujours laissé : celle d’être une sorte d’enfant gâté du cinéma, un gars trop impatient prêt à tout pour atteindre très tôt la gloire. Ce n’est peut-être qu’accessoire mais c’est aussi ce qui permet d’expliquer sa façon de réaliser. Les défauts de la jeunesse pour certains, un égo surdimensionné pour d’autres, tout est question de point de vue… Mais il faut dire que le bonhomme a un talent indéniable (on ne fait pas cinq films avant ses vingt-cinq ans par hasard) mais une propension certaine à parfois en faire trop dans sa mise en scène. J’avais notamment trouvé Les amours imaginaires, son deuxième film, un sommet de prétention (à tous les niveaux) où Dolan voulait absolument montrer tout ce qu’il savait faire avec une caméra entre les mains. On remarquait évidemment qu’il était doué et qu’il avait plein d’idées, parfois un peu barrées. Mais le problème était plutôt dans la façon de les mettre en œuvre et de ne pas tout surligner. Par contre Tom à la ferme m’avait bien plus convaincu, notamment parce que la réalisation y était plus épurée et le sujet davantage défini. La question était donc de savoir si Mommy allait permettre de trancher le débat toujours en cours avec ce réalisateur : insupportable prétentieux ou prodige visionnaire ? Pas vraiment même si, pour ce film, on penche quand même largement du côté de la deuxième solution car Mommy est un grand film, tout simplement.
C’est peut-être aussi parce qu’il est parti d’un sujet très simple (la relation entre une mère et son fils), sans chercher à trop partir sur les à-côtés, que le réalisateur a réussi à faire un film plus réussi. Pourtant, Mommy est loin d’être exempt de défauts, tant sur la forme que sur le fond et, puisqu’on en est là, autant se débarrasser tout de suite de ces questions. Dans la réalisation, il y a certaines séquences qui montrent que Dolan cherche encore à faire de l’esbroufe plus qu’à accompagner son récit, ce qui est très agaçant quand c’est bien trop visible comme parfois. Heureusement, c’est quand même moins le cas ici que dans ses films précédents et le « problème » semble donc se régler avec l’âge et une certaine maturité cinématographique. Au niveau du scénario, il y a aussi quelques éléments assez discutables, notamment dans sa trame simple, voire simpliste et les évidences parfois un peu grossières dans lequel il n’hésite pas à foncer. C’est notamment le cas dans la relation entre Kyla et Steve, où l’on comprend trop vite que lui est un fils de substitution alors qu’elle remplit d’une certaine façon le rôle du père trop tôt disparu. C’est honnêtement un peu de la psychologie de « bas étage » et, d’ailleurs, ce personnage de Kyla n’est peut être pas assez creusé, même si, d’une certaine façon, le « mystère » qui l’entoure participe aussi de ce qu’elle apporte à Die et Steve. Mais, tout de même, elle semble se « libérer » de sa famille très facilement et presque vivre constamment chez ses voisins d’en face. Et puis, certaines séquences se ressemblent peut-être un peu trop et finissent par faire doublon. Bon, voilà du côté des imperfections de Mommy. Car, pour le reste, on se prend quand même une sacrée claque dans la tête et il est difficile de rester insensible devant un tel long métrage.
Mommy nous fait vivre un véritable tourbillon d’émotions pendant plus de deux heures où l’on sera constamment avec la mère et son fils. Ils se retrouvent et doivent se ré-apprivoiser puisque ce dernier a été renvoyé du centre fermé dans lequel il avait été placé. Et ce que l’on peut dire, c’est qu’il s’agit d’une réelle opposition entre les deux tant ils sont, chacun à leur manière des « bâtons de dynamite » ambulants. La maman, sur lequel le film porte vraiment, est une véritable battante, pleine de gouaille (certaines répliques valent vraiment le détour), sorte de grande adolescente dans un rôle d’adulte (il faut voir la façon dont elle s’habille et dont elle peut minauder). Et, en face d’elle, Steve est un jeune que l’on sent sur le point d’exploser à tous moments (ce qu’il ne se prive d’ailleurs pas de faire assez souvent) mais à la fois attachant car on sent tout le potentiel qui se cache derrière ses crises. Si on ne voit pas à travers lui ce que peut vraiment être un enfant atteint d’hyperactivité, on observe tout de même ce que cela implique par rapport à sa mère. Et leur relation est assez incroyable car complètement hors des cadres habituels : ça peut partir très vite tant ils ne veulent pas se laisser marcher sur les pieds, ça peut être violent verbalement et même physiquement, mais c’est aussi un lien plein d’amour même s’ils peinent parfois à se le dire. A certains moments, c’est même Steve qui prend le rôle de chef de famille (comme dans cette scène très forte où il rassure sa mère), preuve supplémentaire de rapports extrêmement complexes. Entre eux va venir se greffer de façon assez inattendue la voisine d’en face qui va leur permettre de créer un certain équilibre tout en trouvant elle-même un moyen de faire face à ses propres démons. Dans cette relation triangulaire, le rapport au sexe est assez étrange car s’il est presque toujours présent, il n’est jamais montré mais se retrouve plutôt sous forme d’une tension diffuse.
On est tellement au cœur de cette relation et de tous ses paradoxes que l’on est entraîné dans ces montagnes russes émotionnelles où l’on peut passer rapidement du rire aux larmes. D’ailleurs, on est souvent entre drôlerie et gravité avec des dialogues à la fois assez désopilants sur la forme mais qui le sont bien moins sur le fond. Il y a toujours une véritable énergie présente qui tourne parfois, avouons-le, à l’hystérie. Elle est aussi permise par le talent des trois acteurs principaux et par la manière dont ils sont dirigés. Un grand bravo doit notamment être tiré à Anne Dorval, absolument étourdissante dans ce rôle de mère courage parfois dépassée par ce qui lui arrive. Antoine Olivier Pilon et Suzanne Clément sont aussi excellents. Et il faut quand même dire un mot sur le choix principal de mise en scène de Dolan, à savoir le format 1:1 que l’on voit très peu au cinéma aujourd’hui (même si Ida l’utilisait aussi dernièrement). Il est d’ailleurs assez amusant de voir que, dans son film précédent, il y avait beaucoup de changements de cadre, comme s’il s’entraînait déjà à faire un film entier dans un format à la fois assez contraint mais qui permet aussi de faire passer beaucoup de choses, notamment en allant chercher les émotions très proches et en enfermant le spectateur dans des scènes où il ne peut pas s’échapper, comme les personnages eux-mêmes sont dans des situations parfois assez inextricables. D’ailleurs, deux fois pendant le film, il se sert d’un autre format pour montrer justement une différence (dont cette première fois où Steve « pousse » lui-même les limites du cadre, idée à la fois géniale et un peu ridicule, sorte de résumé de tout ce qui fait Dolan). C’est en tout cas un choix audacieux, qu’il assume complètement et auquel il parvient à donner un vrai sens tout au long du film.
La musique a toujours eu une grande importance chez Dolan et je trouvais justement qu’elle était trop présente dans Les amours imaginaires. Une fois encore dans Mommy, il y a peu de scènes où elle est complètement absente mais, ici, elle trouve tout son sens, car elle accompagne vraiment les émotions des personnages et ce qui se déroule à l’écran. Et Xavier Dolan a fait un choix assez éclectique, n’hésitant pas à passer d’Oasis à Eiffel 65 en passant par Andrea Bocelli, Lana del Rey ou Dido. Mais si on ne devait retenir qu’une seule séquence où la musique a toute son importance, on garderait évidemment la scène de la danse sur On ne change pas de Céline Dion. Les trois personnages principaux semblent vraiment se découvrir grâce à cette chanson et c’est un très grand moment de cinéma. C’est aussi vrai pour le « rêve » de la mère qui nous emmène assez loin dans l’émotion, aussi grâce à la musique de Ludovico Einaudi, parfaitement utilisée ici. Là, c’est clairement le talent qui parle et quand il est à ce niveau-là, il faut quand même reconnaître que Dolan est grand… Je suis le premier à dire que ce film a ses défauts, qu’il est loin d’être parfait et que, d’une certaine façon, Xavier Dolan reste agaçant à pas mal de points de vue. Mais quand même, il est difficile de rester sur ces impressions après un tel tourbillon d’émotions qui réussit à l’emporter sur tout le reste. Et c’est un tour de force quand même assez incroyable de la part du québécois qui, cette fois-ci, rentre véritablement dans la cour des grands. Il faut tout de même rappeler qu’il n’a que vingt-cinq ans et tout le temps de faire encore mieux. Ça laisse rêveur…