La Critique
De Benoît Jacquot, je restais plutôt sur une bonne impression puisque son précédent film, Les Adieux à la Reine, était un long métrage formellement extrêmement bien travaillé et qui réussissait à transcender le simple genre du film d’époque. J’avais vraiment beaucoup aimé ce film qui avait été une belle surprise. C’était en plus la première fois que je voyais une œuvre de ce réalisateur qui, pourtant, depuis presque quarante ans, a réussi à s’installer comme l’un des metteurs en scène qui compte en France, s’appuyant notamment sur une capacité à toujours se réinventer, en ne se cantonnant pas dans un seul style. D’ailleurs, le fait qu’il passe au pur mélodrame confirme bien ce besoin qu’il doit avoir de changer continuellement de genre. Et, ce qui est assez nouveau pour lui ici, c’est que son personnage central est un homme, lui qui avait plutôt habitué le spectateur à justement mettre beaucoup en avant le sexe féminin dans chacun de ses longs métrages. D’ailleurs, son prochain film – une nouvelle adaptation du Journal d’une femme de chambre – replace une femme au cœur de l’intrigue et change encore une fois de style… 3 Cœurs m’intriguait car je voulais justement voir ce que Jacquot était capable de faire à partir d’une intrigue paraissant particulièrement simple sur le papier : un homme déchiré entre deux femmes qui s’avèrent être des sœurs (je ne dévoile rien puisque c’est dans la bande-annonce…), avec, en plus, un casting assez impressionnant puisque réunir Benoît Poelvoorde, Chiara Mastroianni, Charlotte Gainsbourg et Catherine Deneuve, ce n’est pas donné à tout le monde et, sur le papier, c’est vraiment excitant. Et, honnêtement, j’ai vraiment été déçu du résultat, peut-être du fait que j’en attendais trop. En effet, on sent que c’est le type de long-métrage dans lequel on peut tout à fait se laisser entraîner mais ça n’a pas du tout fonctionné avec moi et je suis resté assez hermétique à cette histoire et à cette ambiance…
Pourtant, ce n’est pas vraiment un souci de réalisation car Benoît Jacquot sait filmer, il n’y a pas vraiment à discuter là-dessus. Il y a même quelques belles scènes (notamment au début) qui prouvent bien que ce n’est pas un manchot, loin de là. On peut par contre être un peu plus circonspect par rapport à l’allure globale qu’il donne à son long métrage avec une teinte assez terne et pas toujours très jolie. Mais, bon, par rapport à l’histoire et aux sentiments du personnage, ça peut encore se comprendre. Alors, où se situe le problème ? Pour moi, c’est principalement dans le scénario et la façon de construire le film dans sa globalité que se trouvent les principaux défauts. En effet, on suit finalement l’histoire de Marc (surtout avec Sophie) sur plusieurs années avec de longues ellipses mais cette manière de faire ne convient pas vraiment. Notamment parce que, pour passer d’une « époque » à une autre, le scénario est obligé d’utiliser le procédé de la voix-off qui, pour le coup, apparaît comme un véritable aveu d’impuissance puisqu’on devrait comprendre sans que l’on ait besoin de nous « raconter » l’histoire. Dans le même ordre d’idée, le plan du lever de soleil pour signifier la semaine de Marc et Sylvie à l’étranger est aussi assez étrange. D’ailleurs, au cœur même du scénario, il y a un enchaînement d’événements bizarres et de choses totalement incohérentes. Je ne sais pas si c’est assumé ou pas mais le fait que, pendant des mois entiers, Sophie, très proche de sa sœur, ne lui présente jamais Marc semble être une incongruité énorme. Et ce n’est pas la seule et, pour moi, cela gâche le tout car on ne croit plus vraiment à ce qui nous est montré alors que c’est essentiel pour une histoire d’amour.
De plus, le scénario, s’il réussit à virer un peu aussi du côté de l’étude sociale en s’intéressant à la « bourgeoisie de province » à travers les personnages du maire et de la mère, rate un peu ce qui est sans doute le personnage le plus intéressant : cette mère, justement. Elle semble avoir une relation particulière à ses deux filles, comprenant ce qui se passe sans avoir besoin d’en parler. En plus, Catherine Deneuve est parfaite et on aurait envie d’en savoir un peu plus mais cette femme reste toujours en retrait et sa façon d’être n’est jamais assez creusée, ce qui est bien dommage. Et là où le film m’a sans doute le plus déçu, c’est dans cette façon d’en rajouter à beaucoup de points de vue. Il y a d’abord la musique (signée Bruno Coulais), trop présente et trop « marquée » à mon goût. Et puis cette idée de faire de Marc un personnage sensible au niveau cardiaque n’est pas très subtile : le rapport entre maladie du cœur et peine de cœur est développé tout du long, au risque de devenir presque un peu ridicule. D’ailleurs, Benoît Poelvoorde en fait un peu trop dans ce sens en surjouant lors des scènes où il se sent mal. Chiara Mastroianni, elle, a hérité d’un rôle décevant car cette Sophie semble n’avoir aucune personnalité. Elle ne s’en sort pas si mal mais, des trois comédiens principaux, c’est encore Charlotte Gainsbourg que j’ai trouvé la plus juste (il faut dire qu’on la voit moins…). Et même la fin, qui partait d’une bonne idée, tombe à plat à cause d’un ralenti assez dégoutant qui annule l’effet escompté. Tout cela mis bout à bout empêche complètement l’émotion et aller voir un mélo devant lequel il n’y a pas le moindre sentiment, c’est quand même assez terrible. Surtout quand on sait que le réalisateur peut faire beaucoup mieux !!