La Critique
Voilà avec Boyhood un film qui a beaucoup fait parler ces derniers mois puisque, depuis sa présentation au dernier festival de Sundance en janvier, il est précédé d’une aura assez extraordinaire. Tous les événements où il a été présenté ont été l’occasion de saluer une nouvelle fois ce que certains critiques considèrent comme l’un des tous meilleurs films de ces dix dernières années. D’ailleurs, Rotten Tomatoes, agrégateur de critiques bien connu, donne 99% d’avis positifs, ce qui est tout simplement exceptionnel. A Berlin, il a même remporté l’Ours d’Argent du meilleur réalisateur, ce qui n’est quand même pas rien. D’ailleurs, du réalisateur, parlons-en un peu car, honnêtement, ce n’est pas celui que l’on connaît le plus de ce côté de l’Atlantique, si ce n’est pour sa trilogie étalée sur presque vingt ans (et oui, il a toujours du avoir un rapport particulier au temps) : Before sunrise, Before sunset, Before midnight où Julie Delpy et Ethan Hawke formaient un couple au long cours. Sinon, le metteur en scène a alterné les productions un peu plus confidentielles avec des films à plus gros budget (bien que pas forcément très fréquentés par les spectateurs) comme Rock Academy. Avec la sortie de Boyhood, c’est un long projet qui prend fin puisque cela faisait douze ans qu’il était dessus. Il n’est pas rare que des réalisateurs mettent énormément de temps pour accoucher d’un film puisque, entre la première idée, l’écriture, la production, la post-production, cela peut durer parfois quelques années. Mais là, c’est bien différent puisque, depuis le départ, Linklater savait où il allait et au moment des premières prises, il avait en tête que son film sortirait bien douze ans plus tard. En effet, chaque année, depuis 2002, il a filmé pendant un court temps (un peu plus d’une semaine) les mêmes acteurs en vue de construire un long métrage qui retrace principalement l’enfance et l’adolescence d’un jeune garçon, de ses six ans jusqu’à ce qu’il atteigne dix-huit ans.
C’est sans doute la première fois qu’un tel projet est entrepris et, rien que pour cela, il faut saluer le réalisateur. D’abord, effectuer un casting d’enfants (notamment Mason et sa sœur) quand on sait qu’il va falloir les filmer pendant plus de dix ans a quelque chose d’assez fou. Tellement de choses auraient pu arriver et faire capoter le projet, mais non, tout s’est finalement bien passé et on retrouve sur toute la durée les mêmes acteurs. Et c’est aussi vrai pour les comédiens plus âgés. Et si Ethan Hawke a toujours connu une carrière solide depuis 2002 (il est là assez génial et devient la figure qui change la moins physiquement), revoir Patricia Arquette a quelque chose d’assez fou car, elle, pour le coup, avait complètement disparu des écrans radars. Son évolution physique au cours du film est elle aussi très intéressante et montre parfaitement cette notion de temps qui passe, absolument essentielle au cœur du film. Car, à partir du matériau récolté chaque année, Linklater décide de ne pas bouleverser la chronologie et de faire se suivre chacune des années, toutes n’ayant pas forcément la même importance. Parfois, ce n’est qu’une séquence assez courte autour d’un seul ou de deux personnages alors que, à d’autres moments, c’est plus long et un peu plus fouillé. On apprend à connaître chacun des protagonistes, et notamment ce quatuor central – le père, la mère et les deux enfants – autour duquel tout le film s’articule. Honnêtement, on s’y attache et on a envie de savoir comment les relations, parfois complexes, vont pouvoir évoluer au fil du temps. De ce côté-là, on peut dure que le projet est vraiment intéressant. On est donc charmé par ce côté un peu fou mais le souci, c’est que, pour ma part, Boyhood n’a jamais réussi à réellement me séduire et, finalement, passée la première impression, le soufflé est trop vite retombé. J’ai eu assez vite le sentiment que ce long métrage était peut-être un peu prisonnier de sa propre idée de départ.
En effet, à force de vouloir absolument montrer un épisode de chaque année, on finit par avoir des séquences qui sont parfois inutiles ou d’autres qui sont redondantes. En tout cas, tout n’est pas intéressant et même s’il y a une volonté évidente de montrer des événements banaux, puisque cette famille n’a rien d’extraordinaire, ça devient par moments un peu longuet. Certains épisodes auraient ainsi pu être abrégés ou, au moins, pas suivis sur trop d’années comme c’est le cas. Ainsi, quelques éléments sont surlignés de manière trop forte, comme le rapport à l’alcool des hommes que la mère rencontre (scène presque gênante quand le beau-père devient « fou »). Et c’est dommage car, là où sur certains sujets, le scénario parvient à être plutôt fin, il ne l’est pas du tout à d’autres moments. En fait, ce qui manque véritablement, c’est d’un fil rouge bien plus clair qui permette de mieux tenir l’ensemble et de lui donner une plus grande cohérence. Trop de sujets sont abordés et si l’évolution des enfants est au cœur du film, ce n’est pas suffisamment précis pour que l’ensemble se tienne. En fait, le vrai sujet du long métrage semble être le temps qui passe et Boyhood en est une chronique assez formidable. Et tout se passe finalement en arrière-plan puisqu’on voit notamment les changements politiques (les années Bush précédant l’élection de Barcak Obama) mais aussi des évolutions de société (la fin de la cigarette dans les lieux publics par exemple), autant de choses que le cinéaste n’avait pas pu prévoir mais qu’il a réussi à inscrire comme toile de fond à son histoire familiale. Les choix musicaux sont aussi assez formidables car ils s’inscrivent dans cette même envie de montrer de vraies évolutions. C’est sans doute à ce point de vue que Boyhood est le plus intéressant et constitue bien un projet assez exceptionnel. La chronique familiale m’a, elle, moins convaincu…