La Critique
S’il y a bien un film qui fait parler de lui depuis pas mal de temps et qui s’avance comme l’immense favori à la prochaine cérémonie des Oscars, c’est bien ce La La Land. Précédé d’une bande-annonce exceptionnelle et d’une flopée de prix obtenus lors des premières cérémonies de récompenses de l’année (dont sept Golden Globes, ce qui est un nouveau record), ce long métrage est acclamé partout où il est présenté. De telle sorte que le buzz qui l’accompagne pourrait presque passer pour un peu suspect. Personnellement, c’est un projet auquel je faisais attention depuis pas mal de temps, notamment parce qu’il est l’œuvre de celui qui apparaît de plus en plus comme la petite pépite du cinéma américain, à savoir Damien Chazelle, à peine trente-deux ans. Dès son deuxième long métrage, celui-ci avait frappé fort puisque son Whiplash, produit avec un budget vraiment pas important, avait remporté l’adhésion des critiques et trois Oscars, ce qui n’est pas rien. Personnellement, j’avais trouvé ce film hyper intense et la réalisation vraiment de très grande qualité. Ce qui est assez drôle, c’est que le projet de La La Land est antérieur à ce succès puisqu’il a écrit le scénario à vingt cinq ans mais n’a jamais trouvé de studios prêts à financer la mise en images sans ce qu’il considérait comme des compromissions (notamment changer le style musical du jazz au rock). Et c’est finalement la réussite de Whiplash qui a poussé les studios à changer de position sur un script qui, lui, n’avait pas évolué. Comme quoi… L’autre élément assez amusant est que le projet était au départ destiné à un autre couple d’acteurs principaux puisqu’Emma Watson et Miles Teller devaient incarner Mia et Sebastian. Mais des soucis de calendrier (entre autres) ont fait évoluer la distribution et ce sont finalement Emma Stone et Ryan Gosling qui les ont remplacés, devenant pour la troisième fois un couple au cinéma après la comédie Crazy Stupid Love et le film noir Gangster Squad. Mais la question que l’on doit se poser est la suivante : le buzz qui accompagne ce long-métrage est-il justifié ?
La réponse est finalement assez simple et tient en trois mots : oui, oui et oui. Rien que ça ! En effet, je n’ai pas été loin d’avoir été complètement émerveillé par un film que j’ai trouvé absolument sensationnel, notamment d’un strict point de vue cinématographique. Cela faisait un sacré temps que je n’avais pas été autant bluffé et même ému par la « simple » qualité de la mise en scène. Mais, La La Land n’est pas seulement un formidable exercice de style, c’est aussi une très jolie histoire qui, sans être particulièrement originale, parvient à émouvoir le spectateur, notamment grâce à un jeu d’acteurs parfait. Bref, c’est un long métrage réussi à tous les niveaux et qui mérite qu’on s’y arrête quelque peu, car il y a à dire… Et, honnêtement, après cinq minutes de film, j’ai compris que l’on tenait sans doute là une sacrée pépite. Le film débute en effet par un long plan séquence dans un bouchon où les occupants des voitures chantent et dansent, le tout dans une chorégraphie inventive et entraînante. C’est franchement virtuose, tant le mouvement de caméra est fluide et « évident ». D’ailleurs, dans son ensemble, la première demi-heure est proprement exceptionnelle tant elle propose un enchantement constant, avec trois chansons chorégraphiées qui sont autant de prouesses dans la réalisation. Il y a des idées à tous les plans, une force visuelle qui saisit immédiatement et une énergie fascinante qui se dégage de l’ensemble. C’est un véritable tourbillon duquel je suis sorti complètement étourdi et fasciné. Forcément, la suite n’est pas du même niveau et le rythme baisse un peu mais ça reste tout de même d’une qualité très largement au-dessus de la moyenne. Tout du long, Damien Chazelle s’en tient à son projet de départ, qui pouvait paraître un peu dingue, ce qui permet à La La Land d’avoir autant de charme.
Car le réalisateur n’a pas peur d’y aller franchement, notamment dans les numéros chantés, en n’hésitant pas à faire de ceux-ci des explosions de couleurs, avec des chorégraphies qui peuvent impliquer un très grand nombre de danseurs. Mais il maitrise le tout à la perfection, confirmant le talent qu’on avait pu entrevoir dans Whiplash. Le travail sur la lumière, la manière de filmer tout en fluidité, en laissant toujours vivre sa caméra ou le montage brillant sont autant de paramètres que le metteur en scène gère avec talent. Surtout, il a une vraie propension à rythmer son long métrage et à lier l’image et le son de manière parfaite. Et c’est pour le moins essentiel puisque La La Land est un long métrage où la musique a un rôle hyper important, à la fois dans le fond et la forme. Et, pour le coup, je pense qu’il est très important d’en parler comme d’un film musical et ne pas le réduire à l’appellation « comédie musicale ». En effet, s’il y a bien quelques numéros chantés et chorégraphiés, ils ne sont finalement pas si nombreux, mais, par contre, la bande-son a une importance capitale puisque chaque thème est relié à une période ou à une sensation et est utilisé de manière différenciée au cours du film (plus ou moins joyeux et plus ou moins jazzy). Ainsi, la bande originale composée par Justin Hurwitz est à la fois un véritable ravissement dont les principaux thèmes vous trotteront probablement longtemps dans la tête mais également une pièce hyper importante du scénario, qui permet de renforcer ce que vivent les personnages principaux. Comme pour son film précédent, le jazz est encore au cœur de l’histoire principal même s’il est là abordé d’une manière totalement différente, puisqu’il n’est pas ici un « instrument de souffrance » mais plutôt un idéal un peu désuet pour lequel Sebastian est prêt à se battre afin de le « réhabiliter ».
En ce sens, c’est un véritable hommage à ce style musical, auquel Damien Chazelle tient véritablement beaucoup. Et, même si l’on n’est pas féru de jazz, on ne peut qu’apprécier les différentes chansons et passages musicaux du film. Mais La La Land est également une déclaration d’amour à Hollywood et son âge d’or, à la cité de Los Angeles, à sa capacité à créer des rêves, tout en proposant également une réflexion sur la création et sur les compromis que l’on est prêt à faire quand on croit sincèrement en une vision bien spécifique sur l’art. Et le jazz comme le genre de la comédie musicale apparaissent comme deux genres aujourd’hui un peu dépassés qu’à sa façon, Damien Chazelle réhabilite avec talent. Et, d’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le film se déroule dans une ambiance assez désuète, où tout semble figé dans un certain passé glorieux, comme les tenues de Mia qui nous propulsent tout droit dans les années soixante. On se trouve toujours sur une ligne de crête assez subtile qui oscille entre le passé et le présent et également entre le rêve et la réalité. C’est sans doute cette atmosphère bien particulière qui permet à La La Land de procurer autant d’émotions. Car, au cœur de tout, il y a quand même une histoire d’amour qui, dans sa trame générale, a beau ne pas être hyper originale, mais se révèle tout de même être suffisamment forte pour nous séduire jusqu’au bout. Cela tient évidemment dans la performance assez impressionnante des deux acteurs principaux. S’ils n’étaient visiblement pas des premiers choix, ils s’imposent avec une telle évidence que c’en est presque surprenant. Ryan Gosling est très bon et nous régale avec ses mimiques (le concert de son nouveau groupe est par exemple un véritable délice) et Emma Stone est absolument sensationnelle. Elle parvient à faire de son personnage un mélange assez détonnant d’énergie et de mélancolie. Peut-être déjà le rôle de sa vie…
Mais si La La Land est aussi réussi, c’est aussi parce qu’il est franchement bien écrit. En utilisant des boucles temporelles de manière plutôt intelligente, le scénario parvient à faire d’une histoire finalement assez banale, quelque chose de bien plus intéressant. La construction en différentes saisons permet d’insister sur le mouvement de montée puis de descente que l’on retrouve à la fois dans l’histoire de ce couple mais aussi de celle de leurs aspirations profondes, qui sont finalement indissociables de leur relation. Et, finalement, le scénario parvient à trouver un ton vraiment juste pour parler de toutes ces problématiques, sans tomber dans les clichés et en réussissant toujours à être drôle, car on rigole très souvent devant des situations parfois assez cocasses et des dialogues qui font mouche. Pour autant, La La Land n’est pas ce que l’on peut appeler un feel good movie traditionnel même si, personnellement, j’en suis sorti avec une pêche d’enfer. En fait, c’est encore plus fort car l’émotion est toujours au rendez-vous avec une certaine nostalgie qui traverse tout le long métrage, à la fois par rapport à l’histoire de ce couple mais aussi dans l’ambiance générale dans laquelle ils évoluent. D’ailleurs, la fin, extrêmement réussie, justement parce qu’elle prend complètement à contrepied l’idée que l’on aurait pu se faire d’un happy ending qui semblait évident, est une preuve ultime de ce que veut vraiment faire Damien Chazelle de son film : quelque chose où c’est finalement la mélancolie qui est le sentiment le plus important. C’est en tout cas une œuvre qui mérite un deuxième visionnage car je suis persuadé d’avoir raté plein de petits éléments dans la mise en scène. Et rien que pour revoir ces plans séquences fascinants, je ne vais pas me priver de ce plaisir. Damien Chazelle signe définitivement son entrée dans la cour des grands avec ce qui s’apparente rien de moins qu’à un chef d’œuvre. Courez-y !!
REVU LE 31/01/2017, le 04/03/2017 et le 06/01/2019 en ciné-concert