La Critique
Cette année, Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, avait décidé de faire les choses un peu différemment. En effet, pas de « film événement » à dimension internationale comme film d’ouverture, du genre qui puisse d’entrée de jeu imposer le côté glam’ et paillettes (on peut penser au Da Vinci Code en 2006, à Robin des Bois en 2010, à Gatsby le Magnifique en 2013 ou encore à Grace de Monaco l’an dernier) mais plutôt un long métrage français au caractère moins clinquant. Bon, il y a tout de même Catherine Deneuve dans l’un des rôles principaux, ce qui n’est pas si mal, ainsi que Benoït Magimel, qui reste l’un des acteurs les plus vendeurs de sa génération et Sara Forestier, sanas aucun doute l’une des « jeunes » actrices (elle a quand même 28 ans) les plus intéressantes. Mais, à part cela, le casting est constitué d’acteurs inconnus. Et à la réalisation, on retrouve Emmanuelle Bercot qui, longtemps, s’en est tenue à des petits rôles et à des longs métrages qui ne faisaient pas trop parler d’eux. C’est grâce à son scénario (coécrit avec Maïwenn) de Polisse qu’elle a eu un vrai éclairage sur une carrière jusque-là assez anonyme. Elle avait tout de même mis en scène pour la télévision l’adaptation du roman Mes chères études (sur la prostitution étudiante) que j’avais regardé car il était intégralement tourné dans cette bonne vieille ville de Besançon. Et elle faisait aussi partie des réalisateurs d’un des segments des Infidèles. C’est surtout avec son dernier long métrage que j’avais réellement pu me faire une idée de sa façon de réaliser. Et, franchement, elle ne m’avait pas du tout convaincu tant Elle s’en va était raté et même carrément gênant par moments. Mais j’avais envie de lui donner une « nouvelle chance » et de visionner ce long métrage qui a plutôt été bien reçu en ouverture du Festival de Cannes. Est-ce que j’ai bien fait ?
Dès la séquence d’ouverture, on comprend qu’on aura affaire à un personnage pas forcément aidé par la vie. En effet, alors qu’une toute jeune mère s’embrouille violemment avec une juge des enfants, on voit un petit garçon qui joue dans un coin, tout calmement, sans forcément tout comprendre ce qui se passe. On saisit que le héros du film, ça sera lui et, d’entrée, on a une certaine empathie pour lui. Sa mère est en effet un stéréotype de tout ce que l’on peut imaginer en pire : irresponsable, inconséquente et incapable d’aimer de façon saine ses enfants, c’est le type de personne qu’il est préférable d’éviter si on veut avoir une éducation correcte. Malheureusement, Malony n’y échappera pas et on va suivre ensuite tout son parcours, jusqu’à ce qu’il ait dix-huit ans. Et c’est justement dans ce bureau de la juge des enfants que (presque) tout va se jouer puisque, à intervalles réguliers, il y revient pour entendre une nouvelle condamnation à un séjour en centre de rééducation ou en centre fermé, voire même à de la prison… Il y a comme quelque chose d’inéluctable à ce retour dans ce bureau et ce sera d’ailleurs le cas jusqu’à la fin puisque Malony ne fait rien pour arranger son cas, de vols en fugues… C’est donc finalement cette relation qui est mise en avant, celle entre une juge qui fait tout pour être compréhensive et un jeune garçon qui refuse de se faire aider jusqu’à ce qu’il accepte peu à peu les mains tendues. Et si l’éducateur qui s’occupe de Malony a aussi son importance, il n’en reste pas moins que c’est ce rapport humain qui apporte tous les enjeux du film. Et je trouve qu’Emmanuelle Bercot parvient bien à saisir ce qui se trame entre deux individus complètement opposés mais qui semblent presque avoir besoin l’un de l’autre pour exister. En ce sens, la fin est plutôt réussie et porteuse d’espoir.
Dans ce qui pourrait finalement apparaître comme une sorte de croisement entre Polisse (pour le côté chronique judiciaire) et Mommy (pour ce personnage d’adolescent difficile à gérer), Emmanuelle Bercot manque peut-être d’un peu d’idées nouvelles de mise en scène mais on ne peut pas lui reprocher d’être en déficit d’énergie. En effet, c’est ce qui marque le plus avec La tête haute : il y a une forme de tension qui nous tient pendant deux heures et elle est assez étonnante. Cela tient en partie à une réalisation très proche des personnages, avec beaucoup de gros plans sur les visages et les regards, ce qui nous fait presque rentrer dans leur intimité. D’ailleurs, c’est aussi d’une certaine manière ce que l’on peut reprocher à ce long métrage qui, à certains moments, semble se laisser emporter, sans que ce ne soit forcément trop contrôlé : le scénario charge un peu la barque avec une succession d’événements parfois trop prévisibles, le personnage de la mère est bien trop caricatural pour que l’on y croie vraiment (qui a eu cette idée d’affubler Sara Forestier de ces fausses dents ?). C’est dommage car je pense que la matière première était suffisamment forte pour que le scénario évite ces travers par moments agaçants. Mais si on peut quand même considérer La tête haute comme une réussite, c’est en grande partie grâce à la découverte de ce film, le jeune Rod Paradot qui joue Malony de treize à dix-huit ans. Il parvient à complètement éclipser des monstres que sont Catherine Deneuve (plutôt pas mal) et Benoît Magimel (pas génial) en étant tout simplement incroyable. Il réussit le tour de force de pousser le spectateur à s’attacher à ce gamin alors que tout devrait nous pousser à le détester. Il a quelque chose dans le regard et dans l’attitude d’assez fascinant : une sorte de colère toujours à fleur de peau et prête à exploser. Les scènes les plus fortes du film sont toujours le fruit de sa performance. Lui peut avoir la tête haute, ça, c’est sûr et certain.