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TimFaitSonCinema
Quand il débute sa première mission en Irak, en tant que tireur d’élite servant à protéger ses camarades, Chris Kyle ne sait pas encore qu’il deviendra assez rapidement « La Légende », celui dont les autres soldats sont très fiers mais aussi celui dont la tête est mise à prix. Participant à quatre missions, il mettra sa vie en danger et ne reviendra jamais comme avant à une vie normale.
Verdict:

Avec American Sniper, Clint Eastwood revient à un très haut niveau en nous livrant un long métrage très intense, réalisé avec beaucoup de maîtrise. Oui, c’est un film qui est extrêmement ambigu, car, en décidant de ne s’intéresser véritablement qu’à un personnage emblématique, il montre tout ce que la guerre charrie de complexité. En tout cas, Eastwood vise juste. 

Coup de coeur:

La mise en scène, parfaite

La date de sortie du film:

18.02.2015

Ce film est réalisé par

Clint EASTWOOD

Ce film est tagué dans:

Film de guerre Biopic

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 La Critique


Il aura donc fallu que Clint Eastwood mette en scène un film qui fasse énormément parler de lui (et pas forcément pour de bonnes raisons, nous y reviendrons) pour que ce réalisateur pourtant mythique ressorte un peu d’un certain anonymat dans lequel ses derniers films l’avaient malheureusement plongé. Personnellement, et je pense que tout le monde le sait, je suis un immense fan d’Eastwood, notamment parce que j’estime que c’est lui qui m’a réellement fait aimer le cinéma (avec Million Dollar Baby, en 2004) et qu’il a signé ce qui est le plus grand film d’amour (Sur la route de Madison, 1995). Mais je dois bien avouer que ses trois derniers longs métrages m’avaient laissé un peu sur ma faim : Au-delà était même en grande partie raté, comme si Eastwood s’était totalement trompé de sujet, J. Edgar héritait d’un scénario trop étalé dans le temps pour que le film soit vraiment réussi et Jersey Boys était propre mais franchement anecdotique. Pourtant, avant cela, l’Américain sortait d’une série exceptionnelle, débutée en 2003 avec Mystic River et conclue par un Invictus qui, d’une certaine façon, annonçait déjà un petit coup de moins bien. Entre temps, cinq chef d’œuvres en autant d’années, rien que ça (Million Dollar Baby, Mémoires de nos pères, Lettres d’Iwo Jima, L’Echange et Gran Torino). Je commençais à me demander sérieusement si, avec l’âge (le gaillard file gentiment sur ses 85 ans), Eastwood n’avait pas un peu perdu le fil de son cinéma, fait d’un certain classicisme et d’une utilisation toujours aussi exceptionnelle des contrastes et des clairs-obscurs. Forcément, quand j’ai appris qu’il allait adapter lui-même le livre de Chris  Kyle (à la place de Spielberg qui s’était finalement désisté), je me suis demandé si, là encore, c’était bien un sujet pour lui. Et, franchement, pour être aussi honnête que possible, ça m’inquiétait un peu.

 

Et puis le film est sorti aux Etats-Unis, il a fait un énorme carton (meilleur box-office de l’histoire pour Eastwood) et a surtout alimenté de très nombreuses polémiques : la dernière fois qu’un long métrage avait autant fait parler, c’était Zero Dark Thirty, de Kathryn Bigelow, qui abordait d’ailleurs la même période (la guerre des Etats-Unis au Moyen-Orient au cours de ces quinze dernières années) mais sous un angle assez différent (plus en coulisses que sur le terrain, pour dire les choses simplement). Toutes ces polémiques ont fini par arriver en France avec la sortie du film (là-encore un démarrage exceptionnel) en « polluant » un peu le paysage. J’ai vraiment tout fait pour éviter autant que possible de lire quoi que ce soit sur le long métrage avant d’aller le voir, afin de ne pas partir avec un a priori encore plus « négatif ». Et, honnêtement, j’ai vraiment été surpris par ce long métrage qui démontre qu’à un âge vénérable, Eastwood n’a absolument rien perdu de son talent. Passons rapidement sur ce qui fait polémique autour de ce film car, honnêtement, ce n’est pas le plus intéressant et j’ai surtout l’impression que l’on fait une sorte de procès d’intention au réalisateur. En effet, celui-ci est connu pour ses opinions politiques qui ne penchent pas franchement du côté démocrate (pour utiliser une litote) et qu’on l’accuse ainsi un peu facilement de patriotisme n’est guère étonnant. D’ailleurs, si le film fait un tel carton aux Etats-Unis (et surtout dans les coins reculés, visiblement), c’est sans doute pour ces mauvaises raisons : voir dans ce long métrage une apologie de la guerre et de la politique extérieure menée principalement au cours du mandat de George Bush. D’ailleurs, Eastwood lui-même a toujours été très critique envers l’intervention américaine au Moyen-Orient. Bref, il ne faut pas réduire American Sniper à ce que l’on suppose que pense son auteur. Car, c’est surtout un long métrage dont on peut tirer ce que l’on souhaite et c’est sans doute là la force de ce film : laisser tous les possibles ouverts en refusant de tomber dans une certaine facilité.

 

D’abord, on peut dire qu’Eastwood ne s’interroge pas sur la guerre en Irak en général mais bien sur ce que peut être le destin d’un homme en particulier au cœur de ce conflit. C’est ainsi très différent du film de Paul Greengrass (Green Zone) qui était une forme de plaidoyer pour expliquer toutes les mauvaises raisons qui avaient conduit les Etats-Unis à la guerre. Eastwood, lui, refuse complètement cela et je ne pense pas que l’on puisse lui reprocher un tel point de vue. De même, il ne filme presque jamais les Irakiens, ne changeant ainsi jamais de point de vue, encore un parti pris assez logique car, ce qu’il recherche, c’est filmer à hauteur d’homme une guerre moderne, extrêmement différente de celle qu’il avait pu montrer dans le diptyque sur la guerre du pacifique. Et pour cela, il construit American Sniper pas à pas, en accompagnant son personnage principal. Ce qu’il montre dans toute la partie introductive (après une première séquence dont nous reparlerons), c’est justement comment le destin de Chris Kyle s’est mis en place. C’est assez rapide (parfois un peu trop) et, surtout, visiblement volontairement caricatural : on voit Kyle chasser avec son père, apprendre de ce dernier les valeurs du sacrifice et de l’auto-défense (valeurs éminemment américaines), faire le cowboy… Tout cela avant de s’engager dans l’armée. De prime abord, ce personnage principal est montré comme une sorte de redneck un peu primaire, ce que l’on peut voir comme une sorte de critique de la part d’Eastwood d’une culture américaine un peu simpliste. Mais cela va se modifier au fur et à mesure que le film avance,  notamment parce qu’on va voir Chris à la fois sur le théâtre des opérations (il partira quatre fois en mission) mais aussi chez lui à son retour. Et c’est là que le scénario nous fait réellement prendre conscience de ce que la guerre a pu détruire en lui : certaines scènes sont ainsi splendides dans leur manière de montrer beaucoup de choses en disant rien, notamment ce plan où il regarde une télévision éteinte avec, en fond, le bruit assourdissant de la guerre qu’il a vécu.

 

Ainsi, l’Irak et les Etats-Unis apparaissent en un sens comme complètement liés puisqu’ils sont tous les deux des champs de bataille, très différents dans ce qu’ils présentent comme difficultés pour le soldat Kyle, l’un étant un vrai théâtre de guerre et l’autre un lieu qui devrait être celui du repos mais qui est en fait celui où l’on ressasse tout ce que l’on a vécu et dont on ne peut pas se défaire. Une séquence assez incroyable montre même ce lien très intense : Chris et sa femme sont au téléphone et alors que celle-ci lui annonce le sexe de leur futur bébé, lui est pris dans une embuscade et elle entend tout ce qui se passe. Ainsi, Eastwood signe là un vrai film de guerre, où l’on voit à la fois l’action pure et ses conséquences, dans un rythme parfois un peu déroutant. Et le réalisateur américain ne nous épargne pas grand-chose, notamment dès une première séquence très dure où l’on voit un enfant et sa mère se faire tirer dessus alors qu’ils s’apprêtaient à se faire sauter au milieu des soldats américains. Et, donc, d’entrée de jeu, l’ambiguïté profonde de ce film est posée. Oui, le sniper tue de nombreuses personnes, mais c’est toujours pour protéger ses propres compatriotes. Pendant tout le film, Eastwood va se heurter à cette complexité, sans jamais véritablement « choisir un camp », ce qui est une bonne chose car il laisse justement le spectateur seul juge. Bien sûr, les Irakiens qui sont montrés apparaissent comme des « méchants » mais c’est un peu obligatoire… Dans l’ensemble, il est très loin de faire de Chris Kyle un héros, refusant par exemple radicalement de traiter le rapport qu’il pourrait avoir avec son arme (souvent sujet de pas mal de films de guerre). Seule la fin (un peu sèche) et un générique presque un peu gênant (sur une musique pourtant magnifique d’Ennio Morricone) pourraient faire penser qu’Eastwood « soutient » complètement son personnage.

 

Ce qu’il cherche surtout à montrer dans American Sniper, c’est comment un homme peut être profondément transformé par une guerre qu’il a d’une certaine manière choisi (encore que, on peut discuter de cela) mais qui est bien plus dure psychologiquement que ce qu’il s’imaginait. Il semble ne pas avoir de remords sur ce qu’il fait mais c’est aussi une manière pour lui de se protéger car on sent bien qu’il est beaucoup plus fragile qu’il en a l’air. Et Bradley Cooper arrive justement bien à rendre toutes les nuances de ce personnage qui évolue bien plus qu’il y paraît au cours de ces presque dix ans (entrecoupés de pause) passés en Irak. Et pour ce qui est de mettre en images les différentes opérations, le réalisateur américain est tout simplement incroyable. En effet, dès la première séquence, on comprend qu’on aura à faire à une vision à la fois très réaliste – et donc dure – mais jamais dans l’esbroufe (il utilise par exemple assez peu la caméra au poing). Comme toujours, il est dans une réalisation plutôt épurée, quasi-clinique. Il parvient parfaitement à rendre compte de la tension qui règne dans cette guerre où l’ennemi, bien qu’identifié, est presque invisible. Il faut fouiller maison après maison, sans jamais se relâcher. Le scénario s’autorise une petite « embardée » un peu moins réaliste avec ce duel à mort que se livrent Chris Kyle et un sniper irakien, un peu comme dans Stalingrad (mais en mieux). Et la dernière scène de guerre est tout simplement effarante avec cette bataille dans une tempête de sable, superbement bien mise en scène mais aussi très symbolique puisque Chris Kyle s’y efface presque et il perd là-bas beaucoup de ses affaires. C’est la fin de sa mission et c’est une forme d’aboutissement pour lui. Le film se refermera quelques minutes plus tard de manière un peu plus discutable mais on peut dire que c’est cette séquence qui clôt véritablement l’histoire de Chris Kyle, telle qu’Eastwood a voulu la montrer. Séquence qui démontre une nouvelle fois que, quand il s’y met sérieusement, Clint Eastwood a peu d’égal aujourd’hui sur la planète cinéma. Pourvu que ça dure…



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Fiz 02.03.2015, 21:01

D'accord avec toi sur la grande qualité du film.
Juste un mot sur la controverse entourant ce film, pour ma part je ne comprends pas la polémique: certes le personnage principal est montré comme un héros mais il faut bien dire qu'il fait preuve de valeurs admirables comme le sens du sacrifice, l'entraide et l'esprit de camaraderie entre soldats.
Pour moi, ce qui est clair, c'est que Clint Eastwood fait avant tout un formidable éloge de cette héroïque solidarité militaire qui pousse des hommes à l'impossible pour protéger ou ramener les camarades blessés. Comment ne pas être admiratif? Un film très fort sur ce sujet.
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jct 14.03.2015, 11:26

Que dire ? Ta critique est MAGISTRALE. J'aurais écrit la même chose en beaucoup moins bien évidemment sur le fond de la polémique et la position du réalisateur. C'est faire preuve d'un triste aveuglement que de réduire ce film à un soi-disant patriotisme -qui est pour l'essentiel une composante de "l'âme américaine" quoiqu'on en pense...- et d'oublier du même coup la dimension de réflexion philosophique sur la guerre, ouverte par le talent du réalisateur et de l'acteur, et que le spectateur peut empoigner par où il le souhaite. Ce film m'a habité pendant deux jours, il pousse à réfléchir et à se déterminer, mais aussi à tenter de comprendre l'autre.... Que demander de plus.
Bref, le vieux Clint n'est pas mort !


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