La Critique
James Gray est un réalisateur à la fois suffisamment talentueux et rare pour que chacun de ses nouveaux films soit un événement. En effet, mise à part la seule année qui a séparé les deux chefs d’œuvres que sont La nuit nous appartient et Two Lovers, le New-Yorkais a toujours pris son temps pour réaliser ses longs métrages, ce qui fait qu’en plus de vingt ans de carrière, sa filmographie ne se résume « que » à cinq films, qui sont, chacun, de très grande qualité. Les deux premiers (Little Odessa et The Yards) font preuve d’une grande maîtrise, je ne reviendrai pas sur les deux suivants qui, chacun dans leur style, font partie de mon panthéon personnel. Et puis il y a The Immigrant qui a globalement été éreinté lors de sa sortie, mais que, de mon côté, j’avais plutôt apprécié, notamment pour sa beauté visuelle. D’ailleurs, la manière dont le travail de James Gray est traité m’étonnera toujours. Il a par exemple régulièrement été sifflé au Festival de Cannes et, aux Etats-Unis, ses films sont toujours ignorés des cérémonies de récompenses et font des bides au box-office. Pour moi, et certains critiques sont d’accord, notamment en France, il fait partie des quelques très grands réalisateurs de sa génération. En tout cas, peut-être est-ce une conséquence de cet état de fait, mais le metteur en scène a décidé de presque tout modifier pour son nouveau film, même s’il avait déjà effectué un changement d’époque pour The Immigrant. Adieu New York, où se déroulaient toutes ses histoires ; Adieu Joaquin Phoenix, son acteur fétiche ; Adieu les scénarii originaux. Là, James Gray s’appuie sur un roman, qui lui-même raconte une histoire vraie, et emmène le spectateur de la verdoyante Irlande du Nord à la non-moins verdoyante forêt amazonienne. Loin de ses repères habituels James Gray signe-t-il pour autant un grand film ?
The Lost City of Z est un projet de longue haleine, que le réalisateur porte depuis près de dix ans. Au départ, c’est d’ailleurs Brad Pitt qui devait incarner le personnage principal mais il n’est finalement resté que producteur. D’ailleurs, si le film a mis autant de temps à se monter, c’est en grande partie parce qu’aucun grand studio hollywoodien n’a voulu prendre le « risque » de mettre des billes dans un tel long métrage. Visiblement, la carte de visite de James Gray ne suffit toujours pas de l’autre côté de l’Atlantique et il faudra m’expliquer quel est le problème… Il faut tout de même avouer que le projet en lui-même pouvait faire peur à la base avec notamment une volonté du réalisateur de tourner en milieux naturels, et « à l’ancienne », alors que le numérique est de plus en plus utilisé. D’ailleurs, James Gray n’a pas hésité à aller voir Francis Ford Coppola pour qu’il lui parle de son tournage dans la jungle pour Apocalypse Now. En ce sens, on peut sans doute parler du projet le plus ambitieux – et peut-être aussi du plus excitant – de la part de l’Américain, d’autant qu’il sort vraiment de ce qu’il pouvait avoir l’habitude de produire auparavant. Cette nouveauté vient aussi sans doute du sujet en lui-même puisque The Lost City of Z se veut être un véritable film d’aventure, comme on n’en voit plus forcément beaucoup aujourd’hui. On est loin d’Indiana Jones et son côté décalé par exemple. Là, c’est bien plus sérieux. Pour autant, dans la forme, on reconnaît la pate du réalisateur, avec une mise en scène hyper classique, où tous les plans sont travaillés et magnifiés par la photographie de Darius Khondji. On sent une très grosse maitrise dans la réalisation et la qualité visuelle est vraiment au rendez-vous. De ce côté-là, on n’est pas surpris même si, honnêtement, je ne me lasserai jamais d’une esthétique aussi impressionnante.
Le film a beau durer presque deux heures et demi, on a tout de même l’impression que, par moments, il a été coupé et que certains épisodes auraient pu être rajoutés sans alourdir le propos. C’est surtout le cas parce que l’histoire de Fawcett est dense et se déroule sur un grand nombre d’années, ponctuées de trois voyages vers l’Amazonie. Ainsi, on peut presque dire qu’il y a trop d’éléments dans ce scénario et que James Gray aurait peut-être du se concentrer sur une période plus définie. Mais, finalement, quand on arrive au bout de l’histoire (et à ces derniers plans absolument sublimes, qui font presque basculer le film vers le fantastique), on se rend compte que c’est bien le voyage (aussi bien physique que mental) dans sa globalité qui est intéressant et qui est difficile à réduire. Finalement, rien ou presque n’est inutile et peut-être quelques séquences en Angleterre auraient pu être raccourcies mais ça joue vraiment à la marge. Dans la construction du film, le rythme se fait de plus en plus rapide pour faire ces allers-retours, à la fois dans l’espace (entre les continents) et dans le temps (des épisodes vécus lui rappellent des souvenirs), avec des raccords parfois sublimes et des ellipses davantage prononcées. C’est fait de telle sorte que l’on se concentre de plus en plus sur ce que vit le personnage principal et de moins en moins sur ce qui l’entoure ou les moyens qu’il utilise pour voyager. Une telle sensation est également possible pour le spectateur par la qualité des scènes dans la jungle qui sont assez fascinantes par l’ambiance qu’elles parviennent à instaurer : plus que visuelle, l’expérience devient véritablement sensorielle et on a presque l’impression de se retrouver au cœur de la moiteur de cette jungle. Et, franchement, ça ne donne pas vraiment envie…
Ainsi, le long métrage est à la fois romanesque – c’est un véritable récit avec des péripéties que l’on peut attendre dans ce genre de milieu hostile – et vraiment intime – on se rapproche de plus en plus de Percy Fawcett et d’une certaine « folie » qui le guette peu à peu. En ce sens, The Lost City of Z est vraiment un long métrage singulier, qu’il n’est pas forcément facile à appréhender. Il faut vraiment accepter de se laisser happer par cette histoire et l’ambiance dans laquelle elle va nous emmener. Il est juste dommage que les allers-retours nous coupent parfois un peu dans cette immersion pourtant facilitée par la qualité de réalisation. Là où le long métrage est également passionnant, c’est dans sa manière de montrer comment une quête qui est au départ portée par le désir de laver un nom va devenir la quête d’une vie, jusqu’à confiner à une certaine folie. Percy Fawcett va être véritablement saisi par l’Amazonie et les mystères que cette forêt cache en son sein. On retrouve également au fur et à mesure le thème de la famille, si important pour James Gray. Ainsi, la femme du héros va avoir un rôle de plus en plus important – notamment parce qu’elle accepte les « lubies » de son mari – mais également son fils, qui sera de la troisième expédition. Ce qui manque peut-être un peu dans ce film, pour lui donner une dimension encore supérieure, est un acteur principal un peu plus charismatique. En effet, Charlie Hunnam (que je ne connaissais pas) n’est pas déshonorant mais je suis persuadé qu’un Brad Pitt en grande forme ou ce genre de comédiens aurait pu faire de ce Percy Fawcett un héros encore plus passionnant. Les seconds rôles, eux, sont tenus tout à fait correctement, notamment par un Robert Pattinson qui prouve peu à peu qu’il n’est pas qu’un vampire pour midinettes. Encore un sacré coup de force de la part de James Gray !