La Critique
Enfin ! Presque plus d’un mois après sa sortie, j’ai enfin réussi à aller visionner le nouveau film d’un réalisateur dont j’estime tout particulièrement le travail, à savoir le mystérieux et de plus en plus prolifique Terrence Malick. En effet, alors qu’il était vraiment rare dans ses premières années, sa Palme d’Or obtenue pour le splendide Tree of Life il y a maintenant six ans a semble-t-il déclenché quelque chose chez lui. En plus des projets de fiction qui s’accumulent, il s’est même permis un détour vers le documentaire (enfin, si on peut appeler ça ainsi) avec Voyage of Time il y a quatre mois à peine. Il a aussi en projet pour l’année prochaine un long métrage historique sur la Seconde Guerre Mondiale qui serait déjà tourné. Bref, l’Américain ne s’arrête plus. Toujours est-il qu’il a fallu que je sois à Pau pour voir cette nouvelle œuvre du génie américain. Aucun cinéma du Nord Isère n’avait pris le « risque » de le programmer (même si un m’a fait un faux espoir en diffusant sa bande annonce, splendide, d’ailleurs…). Déjà que j’avais raté le précédent au cinéma, j’ai donc tout fait pour voir celui-là. Et, une nouvelle fois, j’ai été fasciné par ce film, pas forcément parce que je l’ai vraiment apprécié mais parce qu’il est au-delà de ce que l’on peut imaginer être un long métrage de cinéma. En termes de narration, de montage, de prises de vue, Terrence Malick fait de vrais choix radicaux qui peuvent désorienter et qui, même, parfois, finissent par m’agacer. Mais je reste estomaqué par la capacité qu’a ce réalisateur de faire jaillir le sublime d’un plan et par cette manière qu’il a d’inventer sa propre manière de faire un film. Ainsi Song to Song est un long métrage qui ne ressemble à aucun autre et, en ce sens, c’est une œuvre qui mérite d’être vue.
D’ailleurs, pour commencer, autant dire que le résumé que j’ai fait du film est à la fois vrai mais complètement inutile. On suit plusieurs personnages dans leurs histoires d’amour qui, à certains moments, se recoupent. Mais, finalement, ce ne sont pas vraiment ces couples en eux-mêmes qui sont intéressants mais plutôt les sentiments qui habitent chacun des protagonistes. En effet, comme toujours avec Malick, la voix-off est très présente et décrit, parfois de manière précise (et forcément poétique), ce que peuvent ressentir ces personnages. Même si on finit par s’y retrouver dans la chronologie et le déroulement de ces aventures amoureuses, il ne faut pas forcément chercher une véritable continuité ni même une cohérence. C’est devenu un peu le principe avec les films de Malick : tout s’enchaîne très rapidement, avec un montage extrêmement rythmé, passant d’une vue de rivière à un concert de rock, puis à une dispute entre un homme et une femme. Dans sa narration, ce Song to Song est très particulier car il est en fait constitué d’une multitude de petits fragments disparates qui, finalement, forment quand même quelque chose. Le tout dure finalement un peu plus de deux heures mais, franchement, ça aurait pu être raconté en quinze minutes comme en deux jours. On prend des histoires à un moment et on les quitte, sans forcément trop de raisons même si, pour le coup, la fin est assez nette et clôt bien l’ensemble. Ce n’est clairement pas un film dont il faut absolument chercher un sens mais plutôt se laisser emporter et bercer par les sensations qu’il procure. Et c’est vraiment pourquoi je comprends tout à fait que l’on trouve ça ennuyeux, voire surfait par moments. D’ailleurs, cinq personnes ont quitté la salle au cours de la séance (dont un couple au bout de vingt minutes, j’ai plus de mal à saisir, je l’avoue) et ce n’est pas illogique car, d’une certaine manière, ça peut déranger et même mettre mal à l’aise, pourquoi pas.
Moi-même, ça m’interroge profondément et c’est le genre de films qui me fait me demander ce que j’aime vraiment au cinéma. Et, je me rends de plus en plus compte que, pour moi, le plus important réside dans la beauté de l’image, dans ce que procure de manière brute la qualité plastique d’un plan. Et de ce côté-là, je suis une nouvelle fois servi puisque certaines séquences sont fascinantes. Ce réalisateur n’a pas son pareil pour faire de ce qui pourrait être un plan banal une véritable œuvre d’art. Toujours en mouvement sa caméra parvient à saisir des moments de pure grâce, notamment quand il filme une Rooney Mara assez exceptionnelle dans son rôle. C’est même hypnotique par moments. En fait, devant un film de Malick, je ne réagis plus vraiment comme pour d’autres longs métrages. C’est comme si j’étais ensorcelé et j’oubliais complètement ce qui est raconté pour me contenter uniquement de ce que j’ai devant les yeux. Même le côté fragmentaire et un peu « bordélique » ne me dérange plus vraiment. Pourtant, c’est étrange car, normalement, j’aime plutôt les choses « carré » au cinéma et ce n’est pas pour rien si les deux réalisateurs dont j’apprécie le plus le travail sont Clint Eastwood et James Gray, des maîtres d’un certain classicisme. Mais, ici, la beauté de l’image dépasse tout et me fait presque tout oublier. Je reproche néanmoins dans ce Song to song le côté trop fragmenté, qui, s’il n’est pas forcément dérangeant au niveau de l’image, l’est un peu plus pour la bande-son, importante puisque l’histoire se déroule dans l’univers de la musique. Trop de chansons sont coupées, ce qui casse le rythme brutalement. Malick prouve en tout cas avec ce film qu’il est bien un cinéaste à part, qui nous offre des œuvres uniques. Sans doute abuse-t-il un peu trop de certains effets mais je ne peux que m’incliner devant tant de génie derrière la caméra.