La Critique
Bien qu’il ne soit pas un personnage vraiment connu du cinéma américain d’aujourd’hui, Kenneth Lonergan a tout de même une petite notoriété dans le milieu du Septième Art que l’on qualifie parfois (à tort ou à raison) d’indépendant. Il a acquis celle-ci au départ grâce à ses scénarios (notamment Mafia Blues puis Gangs of New York pour lequel il était coscénariste) mais également en réalisant un premier film en 2000 (Tu peux compter sur moi) et un autre sorti bien plus tard, en 2011 (Margaret). Si ce dernier n’a pas eu la chance d’une sortie au cinéma en France, il a quand même fait un peu de bruit du fait du conflit qui a opposé pendant de très longues années Lonergan et les producteurs aux studios de la Fox, sur le montage final du film. Après de nombreuses péripéties (dont la mort des producteurs Sydney Pollack et Anthony Minghella ou encore l’intervention de Martin Scorsese pour un montage alternatif), le film a fini par sortir près de six ans après avoir été tourné. C’est d’ailleurs peut-être la manière dont le réalisateur a tenu tête à un studio, encore plus que son travail de metteur en scène pour le cinéma ou le théâtre qui lui a donné un surplus de notoriété. Pour ce nouveau projet, les choses ont été relativement plus simples même s’il n’a pas été associé dès le départ à l’élaboration du long métrage. En effet, c’est Matt Damon qui s’est intéressé en premier à cette histoire et qui devait y jouer et même le réaliser. Finalement, pour des questions d’emploi du temps, il a offert le projet à Lonergan tout en restant producteur. Ce n’est donc pas étonnant de voir Casey Affleck dans le rôle principal quand on connaît les liens très forts de la famille Affleck avec Matt Damon depuis l’Oscar du meilleur scénario récupéré en 1998 par Damon et Ben Affleck pour Good Will Hunting. Annoncé comme la pépite de fin d’année, et l’un des favoris aux prochains Oscars, Manchester by the sea tient-il toutes ses promesses ?
Après une demi-heure, la réponse aurait été assez claire… Et elle n’aurait pas franchement été positive. En effet, j’ai trouvé le rythme de démarrage un peu trop lent et, surtout, la construction narrative relativement banale. Pour présenter ce personnage central, le film alterne des séquences de flashbacks avec des scènes de son quotidien contemporain plutôt terne puisqu’il traîne sa misère en étant homme d’entretien dans une copropriété. On sent clairement que quelque chose ne tourne pas rond dans son existence et c’est finalement à partir du coup de fil qui lui annonce la mort de son frère que le long métrage démarre vraiment. A partir de là, la construction parait en fait beaucoup plus intelligente, toujours en alternant (de façon de plus en plus rapprochée) les séquences présentes et passées. Le tout culmine finalement en plein milieu, alors que l’on ne s’y attend pas forcément au départ, dans une séquence absolument fascinante où le drame qui a touché Lee s’explique et permet de relire d’une manière différente ce que l’on voit depuis le début. Le travail de montage sur cette séquence est vraiment de très grande qualité tant l’émotion est amenée peu à peu, de façon très subtile, pour finalement atteindre son paroxysme. Un très grand moment de cinéma, que l’on n’oublie pas de sitôt. Le souci, forcément, c’est que la suite paraît un peu plus fade, même si elle est loin d’être inintéressante. On revient d’ailleurs à une construction bien plus classique, avec des flashbacks moins présents. Globalement, ce qui est vraiment intéressant dans ce film et qui peut paraître un peu déroutant au premier abord, c’est la manière dont il se tisse au fur et à mesure, dans une construction très éloignée des standards habituels. En tant que spectateur, on a presque le sentiment qu’il n’y a pas vraiment de scénario puisque tout vient de façon extrêmement naturelle.
En effet, Manchester by the sea n’hésite pas à effectuer des changements de direction parfois radicaux, pour ne pas laisser le spectateur dans une « zone de confort ». Certaines pistes sont esquissées, et finalement refermées aussi vite, comme de simples flashs de l’existence de Lee, qui doit composer avec un drame originel et qui essaie autant que faire ce peu de se reconstruire. C’est par exemple le cas de la relation avec Randi, la femme dont il est séparé. L’affiche et la présence au générique de Michelle Williams nous fait penser qu’elle sera creusée mais, finalement, elle n’est « développée » que lors de trois scènes, toutes d’une incroyable force dramatique, d’ailleurs. Cette façon de faire donne au film un aspect à la fois de grande fresque familiale (pour le côté générationnel, notamment) mais aussi de quelque chose de très intime, surtout dans la relation entre Lee et son neveu Patrick qui se développe peu à peu sans qu’ils aient besoin de beaucoup parler. Le ton utilisé est, lui aussi, très particulier puisque, étrangement, c’est également un film devant lequel on rigole assez souvent, la plupart du temps d’un certain décalage entre Lee et son neveu qui, s’ils ne sont pas si éloignés en âge, viennent de génération finalement très différentes. Ainsi, le long métrage est à la fois dur dans sa thématique globale mais très tendre dans son traitement. Dans sa mise en scène, Lonergan fait les choses avec une grande douceur, laissant le temps aux scènes de se développer, le tout dans une lumière souvent magnifique. Et puis il y a Casey Affleck, acteur souvent un peu trop oublié mais qui prouve encore une fois qu’il y a peu de comédiens de sa génération capables d’être aussi puissants en étant presque mutiques. On peut finalement parler de Manchester by the sea comme d’un vrai mélodrame, construit sur un schéma bien particulier et presque déroutant mais qui finit par tout emporter sur son passage et dont on se souvient longtemps après que les lumières se soient rallumées.
REVU LE 15/01/2017