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Sentaro tient seul une petite boutique de doriyaki, ces petites pâtisseries typiques japonaises. Un jour, une vieille dame se présente et souhaite travailler avec lui. Au départ, il refuse l’offre, mais, après avoir goûté sa pâte de haricots rouges, il se voit obligé de l’embaucher. Tokue va alors redonner un sens à la vie de Sentaro…
Verdict:

Naomi Kawase signe avec Les délices de Tokyo un film qui paraît au premier abord extrêmement simple, notamment dans sa structure narrative, et assez neutre, même s’il est traversé de quelques passages magnifiques cinématographiquement. Mais, avec son approche presque documentaire sur la fin, elle s’intéresse à sa manière à une question relativement taboue dans son pays, ce qui donne bien plus de poids à l’ensemble.

Coup de coeur:

La beauté de certains plans

La date de sortie du film:

27.01.2016

Ce film est réalisé par

Naomi KASAWE

Ce film est tagué dans:

Drame

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 La Critique


Bien que Naomi Kawase soit aujourd’hui considérée comme l’une des réalisatrices japonaises les plus importantes, je n’avais jusque-là jamais vu un seul de ses films. Pourtant, certains ont fait parler d’eux, notamment parce qu’ils ont été présentés et primés au Festival de Cannes, dont elle est une véritable habituée maintenant et où elle a même été présidente du jury Courts Métrages lors de la dernière édition. Ainsi, en 1996, elle était la plus jeune réalisatrice à recevoir la Caméra d’Or (meilleur premier film) pour Suzaku. Depuis, ses longs métrages ont presque toujours été en compétition, notamment La Forêt de Mogari, qui est reparti avec un Grand Prix en 2007. Et, en 2014, Still the Water avait longtemps été en tête des pronostics pour obtenir la Palme d’Or, avant de finalement repartir bredouille. Enfin, Les délices de Tokyo a eu l’honneur de faire l’ouverture de la sélection « Un certain regard » en 2015. Sans que je ne sache trop pourquoi, j’étais toujours passé à côté. Sans doute les échos de ses précédents longs métrages me rebutaient un peu puisqu’on parle souvent d’eux comme des objets cinématographiques plus que comme de véritables films, avec une construction parfois étrange et déroutante. J’avais surtout l’impression que Naomi Kawase était presque devenue le symbole d’un cinéma d’auteur japonais un peu hermétique sur lequel les Festivals et une certaine presse se « font plaisir » alors que ce n’est pas forcément très digeste en tant que spectateur, à l’image d’un Apichatpong Weerasethakul (oui, je l’ai casé !) pour lequel je n’ai jamais trop compris l’engouement… Pour Les délices de Tokyo, j’avais le sentiment que c’était un film bien moins « fermé » que ses précédents et, voir un long métrage japonais sur les écrans morestellois, huit mois après sa sortie, était tout de même quelque chose à ne pas rater. Et, de fait, je n’ai pas été déçu, loin de là.

 

Ce qui marque au premier abord avec ce film, c’est la simplicité presque radicale de sa trame narrative. En effet, l’histoire racontée ne comporte absolument aucune surprise et le rythme est globalement assez lent. Le nombre de personnages principaux est limité au minimum et le scénario garde de façon volontaire une grande réserve par rapport au passé de Sentaro et Tokue. En effet, ce qui importe ici, c’est la manière dont leur rencontre, pourtant au départ relativement improbable, va leur redonner un élan de vie, ainsi qu’à cette jeune collégienne qui vient souvent manger dans le restaurant. Et, là encore, on n’est pas dans l’exaltation passionnée des sentiments mais plutôt dans quelque chose de bien plus intérieur pour chacun des personnages. On peut saluer ici la très grande performance des acteurs principaux. Masatoshi Nagase parvient très bien à montrer l’évolution de son personnage sans dire presque un mot. Mais c’est surtout Kirin Kiki (actrice fétiche de Hirokazu Kore-Eda, autre grande figure du cinéma japonais contemporain) qui m’a impressionné. Elle arrive parfaitement à rendre la bienveillance de son personnage. Ainsi, une vraie douceur se dégage de ce long-métrage et cela est renforcé par le fait que la réalisatrice aime beaucoup filmer la nature, avec ici de nombreux plans des cerisiers qui se trouvent dans la ville. Même s’ils servent à montrer le passage des saisons, on ne peut pas dire qu’ils soient d’une très grande utilité puisque, avec un rythme particulièrement lent, ils ne sont pas là pour offrir des respirations dans la narration. C’est juste que Kawase apprécie visiblement beaucoup le côté presque contemplatif de ces quelques séquences qui ont le mérite d’être magnifiques visuellement, il n’y a pas à se plaindre de ce côté-là. A certains moments, on peut se dire que c’est un peu trop mais, dans l’ensemble, je trouve que toutes ces scènes ont bien leur place dans le récit.

 

D’autant que, d’une certaine manière, on peut voir la nature comme une sorte de personnage à part entière. En effet, cette vieille femme, Tokue, semble communiquer directement avec elle (comme lorsqu’elle salue les cerisiers qui, avec le vent, semblent lui rendre son mouvement de main) et n’hésite même pas à parler directement à des légumes, comme lors de la préparation de la pâte de haricots rouge, moment assez incroyable d’un point de vue cinématographique. Mais on comprend peu à peu que la douceur de façade de cette rencontre entre deux êtres que tout oppose, même si la solitude les rapproche, cache en fait une face bien plus sombre. On saisit par petites touches que le passé de Sentaro n’a pas été facile mais c’est surtout du côté de Tokue que le drame est bien plus important, même si elle fait tout pour ne pas le montrer. En effet, elle a subi la lèpre et, comme tous les japonais à son époque, elle a été mise à l’écart du monde, dans un centre spécialisé duquel elle n’avait pas le droit de sortir. Dans le dernier tiers du film, on découvre véritablement les conditions d’existence de Tokue, tout en sortant de la boutique que l’on n’avait presque pas quitté depuis le tout début du long métrage. La réalisation adopte un ton presque davantage documentaire pour emmener le spectateur dans l’un de ces centres, à la rencontre de ces personnes qui ont été forcées d’y passer toute leur vie. A sa manière, et sans en faire des tonnes, Naomi Kawase dénonce cet état de fait. Les délices de Tokyo peut ainsi être considéré comme une sorte de film sucré-salé. A la rencontre improbable et finalement charmante entre deux êtres opposés en tous points, succède le drame d’une existence passée en étant rejetée de la société. La fin, avec la lecture de lettres de la part des deux protagonistes principaux, permet de clore avec beaucoup d’émotions un long métrage qui est finalement bien plus fort et profond qu’il veut le laisser paraître au premier abord… 




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