La Critique
Etant donné que j’ai l’impression de toujours commencer mes critiques des films d’Ozon de la même manière – en rappelant son éclectisme assez fascinant – je vais essayer de faire les choses un peu différemment… Peut-être en disant que ce réalisateur est actuellement sans doute l’un des seuls français dont je sais que j’irai voir les films, quoi qu’il se passe (ou presque). Celui-ci est d’ailleurs le septième d’affilée. Cela tient principalement au côté surprenant du réalisateur – on ne sait jamais sur quoi on va véritablement tomber – mais aussi à une force certaine dans la mise en scène – Ozon a un style bien à lui, qui peut dérouter mais qui, moi, me plaît plutôt. Et puis il restait sur deux longs métrages que, personnellement, j’avais beaucoup apprécié, bien que très différents (Une nouvelle amie et Frantz). De plus, pour la troisième fois de sa carrière, Ozon a vu l’un de ses films sélectionné pour le Festival de Cannes cette année (après Swimming Pool et Jeune et Jolie, déjà avec Marine Vacth. Et pour la troisième fois, d’ailleurs, il est reparti sans avoir été choisi dans le palmarès. Voici pour les présentations d’usage. Et il est sans doute temps de parler du long métrage en lui-même bien que, finalement, j’aie un peu de mal à me faire une idée véritable de ce que j’en ai pensé. L’amant double est typiquement le genre de film qu’il faut prendre un certain temps à digérer. Clairement, avec ce film librement adapté d’un roman américain, Ozon a décidé de refaire un long métrage sulfureux, qualifié par certains de thriller érotique. En fait, en y réfléchissant bien, je pense que L’amant double m’a plus agacé que plu, bien que je lui reconnaisse sans peine quelques qualités. C’est surtout un long métrage qu’il n’est pas facile de critiquer sans trop en dire. Je vais tout de même m’y essayer, en restant le plus vague possible.
Dès le premier plan – qui passe en un raccord de la vulve d’une femme à son œil –, on est mis dans une certaine ambiance, où la question du sexe sera absolument centrale. C’est aussi une bonne bravade d’entrée de jeu pour Ozon et, d’ailleurs, l’ensemble de son long métrage peut être vu comme une provocation puisqu’il ne s’interdit pas grand-chose et va même assez loin, de telle sorte que l’interdiction pour les moins de douze ans me semble plutôt sous-évaluée. Pourtant, le premier quart d’heure, extrêmement clinique – rien de superflu ne nous est montré – pourrait nous faire penser que le réalisateur a choisi cette première séquence pour tromper son monde. Mais, le film bascule peu à peu et pendant plus d’une heure et demie, le spectateur sera balloté au gré de fausses pistes, de révélations et de mensonges en tout genre. Fantasmes et réalités se confondent et se répondent, avec notamment des acteurs que l’on retrouve dans différents rôles. On ne sait plus bien à qui et à quoi se fier. C’est évidemment l’effet recherché et, de ce côté-là, on peut dire que le metteur en scène réussit plutôt bien son coup. Il a notamment une réelle capacité à mettre en place une ambiance bien particulière et à faire monter la tension. Ainsi, certains personnages qui paraissent au départ inoffensifs deviennent assez rapidement suspects. De quoi ? On ne le sait même pas vraiment… Il y a un vrai suspense qui s’instaure et, étant donné que c’est, selon moi, le vrai intérêt du film, je n’en dirai pas plus ici. Du côté des réussites, on peut aussi signaler la performance de Jérémie Rénier, glacial à souhait. A contrario, je n’ai guère été impressionné par le jeu de Marine Vacth, bien trop monocorde et qui ne dégage presque rien. C’est évidemment son personnage qui veut ça mais un tout petit peu de nuances n’aurait sans doute pas été de trop…
D’ailleurs, pour le coup, Ozon aurait lui pu faire preuve de davantage de nuances dans sa mise en scène. En effet, celle-ci s’avère être extrêmement démonstrative. Ainsi, entre les nombreux effets inutiles (split screens, raccords complexes) et des décors hyper signifiants (les escaliers qui s’enroulent montrant le côté torturé du personnage principal ou encore ces miroirs qui « multiplient » les protagonistes), la réalisation finit par s’alourdir de manière franchement inutile. De même, dans sa gestion du rythme, le réalisateur fait les choses bizarrement avec de nombreuses ellipses (qui renforcent le mystère) et, en même temps, des séquences pas forcément parlantes qui durent plus longtemps que de raison (et qui diluent l’intérêt de l’ensemble). Là où cette histoire aurait sans doute gagné en épure, Ozon préfère en faire des caisses et finit par lasser le spectateur. Il en est d’ailleurs un peu de même pour la question du sexe puisque L’amant double est de ce côté-là vraiment cru avec de nombreuses scènes, dont certaines m’ont paru plus que « limite ». C’est évidemment un sujet central dans cette histoire mais tout est tellement surligné que cela en perd de sa force. Globalement, je trouve qu’Ozon manque, avec L’amant double de beaucoup de subtilité et cela me surprend de lui, notamment à la lumière de ses deux films précédents que je trouvais justement très justes. C’est presque à se demander si ce n’est pas complètement assumé et que le réalisateur a pris un malin plaisir à tourner ce qui s’apparenterait plus à une sorte de parodie de thriller érotique, singeant à sa façon les grandes œuvres de Polanski, De Palma ou Cronenberg. Si ce n’est pas le cas, il s’est raté, et si c’est le cas, il a gâché un matériau de départ pas inintéressant. De toutes les façons, le résultat final est décevant. Mais, ce qui est bien, c’est que je sais que risque d’être surpris positivement par son prochain film. Ou pas…