La Critique
Après avoir été directeur artistique du film d’Olivier Marchal 36 quai des Orfèvres, il fallait bien que Frédéric Tellier finisse par tourner son premier film en grande partie dans les locaux mêmes de ce lieu « mythique » de la police française. Pourtant, avant de réussir à passer à la réalisation pour le grand écran, Frédéric Tellier n’aura pas eu un parcours si facile. En effet, dans les années 2000, il s’est surtout fait remarquer par ses publicités et ses téléfilms. Et c’est d’ailleurs une série qui l’a un peu sorti de l’anonymat et lui a sans doute ouvert les portes du cinéma. En effet, c’est lui qui était aux manettes de la première saison des Hommes de l’ombre, série que je n’ai pas (encore) vu mais qui passe pour être vraiment de qualité. Il a donc ensuite eu la possibilité de mettre en images pour le cinéma un projet qui lui tenait à cœur depuis très longtemps, puisqu’une de ses amies a été victime d’un viol, ce qui l’a fait s’intéresser de plus près au cas Guy Georges : un film autour de la traque de celui que l’on a surnommé le « tueur de l’est parisien » et qui reste encore aujourd’hui l’un des plus grands tueurs en série que notre pays ait connu. Quand on parle de projet au long-cours, c’est souvent exagéré mais là pas vraiment puisque presque dix ans ont été nécessaires à Tellier entre les recherches, l’écriture du scénario puis la mise en images de tout cela. Et ce n’est pas une nouveauté pour le cinéma français que de s’intéresser aux faits divers qui ont marqué la chronique judicaire ces derniers temps : Présumé coupable ou Omar m’a tuer en sont deux exemples récents. Souvent, le résultat est plus que mitigé, notamment parce que les scénarios sont trop illustratifs et ne prennent pas assez un parti-pris net. Malheureusement, L’affaire SK1 n’échappe pas à la règle et finit par être un film plus que moyen.
De ce long métrage, on pouvait attendre beaucoup de choses, notamment parce que l’Affaire Guy Georges est sans doute l’une des plus retentissantes du siècle dernier en France, tant par l’impact médiatique qu’elle a pu avoir (une vraie psychose a envahi Paris pendant quelques mois) que pour les avancées qu’elle a pu ouvrir : si le fichier regroupant les empreintes génétiques de tous les déséquilibrés sexuels a pu voir le jour, c’est justement parce que, après le cinquième meurtre, si une telle mesure avait existé, elle aurait sans doute permis l’arrestation de cet homme qui était déjà connu des services de police. L’affaire SK1 (pour Serial Killer numéro 1) est aussi celle d’un monumental raté des différents services de police qui, à cause de tout un tas de raisons, n’ont jamais réussi à vraiment se coordonner pour trouver le meurtrier. Bref, autant d’éléments qui laissaient présager d’un long métrage dense, intense et troublant. Mais, à aucun moment, ces trois qualificatifs ne me sont venus à l’esprit pour qualifier L’affaire SK1, qui apparaît finalement plutôt comme un téléfilm amélioré, plutôt propre dans la forme mais qui pêche sérieusement dans son fond. Et ce qui est le plus troublant, pour le coup, c’est la manière dont il est construit. En effet, s’entremêlent dès le début deux niveaux très différents qui ne vont pas arrêter de cohabiter, comme s’il y avait deux films en un que l’on essayait par tous les moyens (souvent artificiels) de relier ensemble. Et c’est particulièrement le cas dans un premier tiers où les deux niveaux sont bien trop mélangés : d’un côté, les premiers pas de l’enquête avec les réflexions préliminaires d’un jeune inspecteur qui débarque et qui cherche à établir des liens entre des affaires disséminées à différents étages de la police judiciaire (Personnaz qui fait du Personnaz et qui commence sérieusement à m’inquiéter dans cette façon qu’il a de ne jamais changer de rôle) et, de l’autre, le procès de Guy Georges, dix ans plus tard, qui nous fait nous interroger sur cet homme et la façon dont il doit être défendu et jugé.
Si ces deux aspects peinent à cohabiter de façon cohérente, ce qui nuit à la qualité d’ensemble de L’affaire SK1, ils ont aussi des défauts qui leur sont propres et qui n’arrangent rien. Parlons d’abord de ce qui prend le moins de place, à savoir la partie la plus récente, autour du procès du meurtrier et de son rapport à ses avocats. Outre le fait que l’avocat de Guy Georges joue excessivement mal, cette partie n’a d’intérêt que pendant le procès, peut-être le moment le plus fort du film, notamment parce que l’acteur interprétant le meurtrier est très bon. Mais le scénario ne va jamais assez loin pour essayer de réellement comprendre cet homme. Sur ce qui est de l’enquête en elle-même, le scénario adopte clairement une vision quasi-documentaire, qui permet de comprendre les rouages essentiels, avec les failles qui apparaissent (notamment du fait de la concurrence entre les équipes) mais là où le bât blesse, c’est qu’il manque un vrai regard sur cette traque et ses ratés. Là, on nous les montre juste, sans chercher à les comprendre ou à les expliquer. Au bout d’un moment, une telle complaisance deviendrait même presque choquante. En ce sens, on ne peut pas dire que ce long métrage soit vraiment un film d’enquête et la comparaison avec le Zodiac de David Fincher, autre œuvre sur un tueur en série, n’est pas flatteuse du tout, même si ça reste des films différents et difficiles à mettre sur le même plan. L’affaire SK1 apparaît finalement comme un long métrage propre mais extrêmement scolaire. Rien n’en ressort véritablement et on a l’impression que le réalisateur n’a rien mis de lui-même, comme s’il se refusait le droit d’avoir un regard critique ou artistique sur cette affaire. Alors, forcément, le résultat est décevant et le fait qu’un tel long métrage ne soit même pas interdit aux moins de douze ans montre bien que tout cela est bien trop aseptisé. Je ne dis pas qu’il fallait absolument du gore mais, quand même, on parle ici d’une affaire violente et tragique.