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TimFaitSonCinema
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JACKIE

Un journaliste se rend dans la demeure de Jacqueline Kennedy pour l’interviewer. C’est quelques jours après la mort de son mari, assassiné à Dallas. Elle va alors lui raconter les quelques jours qui ont suivi cet événement tragique, des heures où les enjeux ont été aussi bien personnels que nationaux.
Verdict:

Déroutant dans sa forme parfois alambiquée et finalement très loin de ce qu’on aurait pu en attendre, Jackie finit par séduire par sa manière d’évoquer à travers quelques moments clés le destin d’une femme, intimement lié à celui de son pays. Admirable dans la forme et virtuose par moments, ce long métrage est également magnifié par la performance magnétique d’une Natalie Portman incroyable. Un très beau film.

Coup de coeur:

Natalie Portman

La date de sortie du film:

01.02.2017

Ce film est réalisé par

Pablo LARRAIN

Ce film est tagué dans:

Biopic

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 La Critique


En quelques années, le Chilien Pablo Larrain a réussi à se faire une place dans le paysage du cinéma mondial. Il s’est fait connaître avec sa trilogie basée sur la dictature qui a fortement marqué son pays (Tony Manero, Santiago 73, post mortem et No). Après un nouveau film chilien remarqué (El Club), il s’est vu ouvrir les portes américaines, même si le long métrage est de coproduction française et a majoritairement été tourné à Paris et à côté (dans les studios de Luc Besson). En effet, Larrain a remplacé Daren Aronofsky (resté producteur) au poste de réalisateur d’un film centré sur Jacqueline Kennedy. Cela ne l’a pas empêché de tourner Neruda, biopic très personnel sur le célèbre poète chilien, sorti à peine un mois avant Jackie. Honnêtement, ce passage au cinéma américain avait tout du gros piège pour le Chilien. En effet, tel qu’il se présentait au premier abord, Jackie ressemblait surtout à une production calibrée pour séduire l’Académie des Oscars puisque ce long métrage cochait presque toutes les cases qui mènent au succès : un biopic sur un personnage mythique de l’histoire américaine, interprété par une star hollywoodienne (Natalie Portman ayant finalement remplacé Rachel Weisz), une nécessaire reconstitution historique,…  D’ailleurs, le film a été nominé trois fois aux Oscars, à la fois pour la meilleure actrice, la meilleure musique et les meilleurs costumes, mais pas pour le meilleur film, ce qui pouvait pourtant être attendu au vu du projet. Et il est reparti finalement bredouille de la cérémonie. Sans doute parce que, finalement, Jackie est relativement loin de ce que l’on pouvait en attendre et se révèle être un long métrage qui reprend à sa manière les codes du biopic pour mieux les détourner. En s’appropriant vraiment un sujet a prori casse-gueule, Pablo Larrain signe pourtant un film à la fois déroutant et magnifique.

 

Oui, Jackie est une œuvre qui ne ressemble pas à grand-chose d’autre, notamment parce que c’est ce que l’on peut appeler un « faux biopic ». Larrain et son scénariste (Noah Oppenheim, surtout connu pour avoir adapté Divergente 3-Première partie) réussissent à cristalliser tous les enjeux qui gravitent autour de ce personnage en ne captant que quelques moments clés et en leur donnant chacun un sens particulier. Sur le principe, c’est fait un peu à la manière du Sully de Clint Eastwood, mais le scénario pousse le curseur encore plus loin. Et c’est d’autant plus remarquable que, par rapport au commandant Sullenberger, l’homme d’un « exploit », la figure de Jacqueline Kennedy est multiple et sa vie entière est extraordinaire. Plutôt que de la conter chronologiquement sans véritable point de vue, comme beaucoup (trop) de scénaristes s’en contentent, Jackie prend comme point central une interview (qui a réellement eu lieu) autour duquel s’enroulent de nombreuses séquences. Celles-ci s’articulent en fonction du déroulement de la discussion et jamais de manière chronologique. C’est pourquoi les allers-retours sont incessants,  et les ruptures temporelles très fréquentes. La construction peut ainsi parfois être déstabilisante, même si, personnellement, je l’ai trouvé vraiment très intelligente, et même franchement virtuose par moments. En ce sens, le film ne cherche jamais à être didactique et à expliquer qui était cette femme, même si, grâce à quelques scènes très courtes, on peut revivre et comprendre certains éléments de son passé. Ce ne sont finalement que quelques jours qui sont racontés (nous reviendrons sur cette notion, très importante ici), sans doute les plus importants de sa vie, évidemment, avec également un focus particulier sur une émission de télé plus ancienne qui donne d’autres clés pour cerner le personnage. Au-delà de l’aspect purement historique, ce qui intéresse Pablo Larrain, c’est bien de faire un véritable portrait de femme et, ainsi de lier l’Histoire à l’histoire. Le pari est un peu fou, mais il est parfaitement réussi.

 

Le scénario parvient parfaitement à montrer la manière dont, pour Jacqueline Kennedy, les vies privées et publiques se sont toujours mêlées, même si cet événement tragique a encore renforcé cette réalité. Ainsi, dans sa relation avec ses jeunes enfants, à qui elle doit expliquer que leur père est décédé mais qu’elle met également en avant afin de renforcer l’image de chagrin, on retrouve cette dualité entre l’intime et l’image qu’elle souhaite donner à l’extérieur. Car, plus que subi par la principale intéressée, cet état de fait est complètement assumé et fait même partie d’une sorte de « stratégie » afin de donner de son mari une image la plus glorieuse possible (voir le rapport à Lincoln qu’elle cherche constamment à mettre en avant). Dans une sorte de schizophrénie dont elle a conscience, cette femme se trouve sur une ligne de crête pas forcément évidente à cerner, ce qui la rend à la fois froide et calculatrice par moments mais également plus vulnérable et, donc, émouvante à d’autres. Certaines séquences sont vraiment magnifiques, comme toutes celles où elle prend vraiment conscience qu’elle va quitter la Maison Blanche, celle qu’elle a pris tant de soin à rénover à son goût. Là où le film est sans doute le plus intéressant et même vraiment passionnant par moments, c’est dans la manière qu’il a de montrer comment cette femme construit un récit plus qu’elle ne raconte véritablement son histoire lors de cet interview. Son véritable ressenti, dont on n’aura jamais véritablement conscience, passe au second plan. C’est bien l’histoire qu’elle souhaite voir écrite qu’elle va véritablement dicter au journaliste. On est très loin d’une confession sincère, qui a d’ailleurs lieu en contrepoint dans une séquence qui répond au reste de façon très intéressante. Toute la complexité du personnage qu’est Jacqueline Kennedy est ainsi cerné et c’est en ce sens que Jackie est un biopic vraiment intelligent.

 

De plus, à travers le destin tragique de Jacqueline Kennedy au cours de ces quelques jours qui ont fait basculer sa vie, c’est aussi la société américaine dans son ensemble qui est sondée, notamment dans la dimension spectaculaire qui est directement associée à la politique. Tout ou presque est question d’image et c’est cela qui doit primer avant tout. La réussite du film tient aussi à une mise en scène formellement très réussie, faite souvent de longs plans où la musique a toute son importance. Et la partition composée par Mica Levi est de grande qualité et s’inclut parfaitement dans le projet. Avec son côté dissonant, elle m’a beaucoup fait penser à celle de There will be blood. La photographie, proposée par le Français Stéphane Fontaine, est magnifique et il y a un vrai talent pour lier quelques images d’archives à d’autres filmées spécialement dans les séquences « historiques ». L’illusion est parfaite. Le travail sur la reconstitution est également assez fascinant avec des décors intérieurs et extérieurs de grande qualité et des costumes parfaits (même si, pour le coup, le style de jacqueline Kennedy était plutôt bien documenté). Dans le rôle titre, Natalie Portman est époustouflante. De tous les plans (souvent très rapprochés), elle incarne véritablement son personnage. Plus encore que dans les passages mélodramatiques, c’est peut-être dans toute la séquence de l’émission de télé, reconstituée à l’exacte, qu’elle est la plus étonnante. En parvenant à imiter la manière dont la vraie Jackie joue elle-même un rôle (et mal, en plus), elle livre une interprétation magistrale. Je comprends maintenant pourquoi certains ont milité pour que l’actrice obtienne l’Oscar. Et, honnêtement, même si j’ai adoré Emma Stone dans La La Land, je ne suis pas loin de me ranger à cet avis. Tout cela fait de Jackie un film marquant, notamment par son audace. Pablo Larrain, lui, s’est définitivement fait un nom.




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