La Critique
En quelques années, le réalisateur Cédric Jimenez a réussi à se faire un nom, au point de porter de solides projets. En effet, si son premier long métrage – Aux yeux de tous – avait rencontré un succès vraiment relatif (55 000 entrées), son idée de départ (faire un film uniquement à l’aide d’images de caméras de surveillance ou de webcams) avait attiré l’attention de producteurs et notamment d’Ilan Goldman. Ainsi, il s’est retrouvé rapidement à la tête de l’un des projets les plus ambitieux du cinéma français de ces dernières années avec La French. Personnellement, j’avais trouvé ce long métrage vraiment moyen et même un peu pompeux par moments. Pour son troisième film, il passe encore à la dimension supérieure car, si HHhH reste une œuvre de production française, le casting est très majoritairement hollywoodien et donne donc à ce long-métrage une tonalité bien plus internationale. Et, en plus, le projet en lui-même n’est pas mince puisqu’il s’agit de l’adaptation du livre de Laurent Binet, qui a obtenu pour celui-ci le Prix Goncourt du premier roman. HHhH signifie en fait Himmlers Hirn hei?t Heydrich (« le cerveau D’Himmler s’appelle Heydrich ») et s’intéresse donc à un personnage qui a vraiment son importance au cours du régime nazi puisqu’il est tout à la fois un rouage essentiel de la mise en place dans la violence du pouvoir et l’un des instigateurs de la solution finale mais aussi le plus haut dignitaire nazi à avoir été assassiné par la résistance. C’est donc un véritable destin que Cédric Jimenez se propose de raconter avec son film et c’est notamment la manière dont une personne peut devenir celui qu’Hitler appelait « L’homme au cœur de fer » qui m’intéressait et qui m’ont poussé à aller voir ce long métrage. Le souci, c’est que j’ai rapidement déchanté tant HHhH est décevant – voire plus que ça – à tous les niveaux…
En fait, pour dire les choses rapidement et simplement, le souci majeur de ce film, c’est qu’il est composé de deux longs métrages qui sont (presque) distincts. Ca passerait encore si ces deux parties étaient réussies, mais c’est loin d’être le cas… Je ne sais pas comment est conçu le livre adapté ici mais tout ce que je peux dire, c’est que la construction de HHhH est à la fois déroutante et particulièrement frustrante. Dans la première heure, on suit l’ascension d’Heydrich, grandement encouragée et facilitée par son épouse, jusqu’à son accession au titre de vice-Protecteur de Bohême-Moravie. C’est fait sous formes de petites vignettes très descriptives, qui éclairent différents aspects du personnage, le tout entrecoupé d’ellipses. Le souci, c’est que jamais ne sont posés véritablement les enjeux autour de cet homme qui, de « simple » officier de la Marine, va devenir l’un des hommes les plus importants du système nazi. C’est pourtant là que j’attendais vraiment HHhH. Du côté de l’interprétation, on peut noter que Jason Clarke est assez glaçant dans ce rôle mais le manque d’épaisseur de son personnage ne lui permet malheureusement pas de pousser plus loin sa performance. Rosamund Pike, elle, est plutôt convaincante en jeune femme qui voit peu à peu ce qu’elle a « façonné » lui échapper. C’est juste dommage qu’elle disparaisse presque au bout d’une heure… Car, dans la deuxième moitié, on passe de l’ « autre côté », celui des résistants qui ont mené à bien l’assassinat. Le tout est extrêmement anecdotique, là encore raconté par une succession de scènes – pas toujours utiles –, jusqu’à devenir franchement ridicule dans les quinze dernières minutes. Il existe d’ailleurs un film sorti l’année dernière uniquement centré sur les deux résistants auteurs de l’attaque (Anthropoid, directement sorti en vidéo en France). Je ne l’ai pas vu mais je suis persuadé que Cillian Murphy et Jamie Dornan, qui en tiennent les rôles principaux, sont meilleurs que Jack O’Connell et Jack Reynor qui sont lisses comme tout et ne font absolument rien passer dans leur interprétation.
Plus encore que la construction du long-métrage ou son scénario à proprement parler, ce qui m’a sans doute le plus dérangé avec HHhH est à trouver du côté de la réalisation. On avait déjà pu remarquer avec La French que Cédric Jimenez n’était pas du genre à faire les choses à moitié quand il s’agissait de mettre en scène une histoire. Pour dire les choses le plus gentiment possible, ce n’est pas un adepte d’une certaine subtilité : rien n’est suggéré ou doit être imaginé par le spectateur mais la réalisation doit surligner le propos dans tous les cas, si possible en faisant un effet loin d’être indispensable mais tape-à-l’œil. Et c’est encore le cas ici, de telle sorte que ça en devient gênant. Car si, dans son film précédent, cette esbroufe dans la mise en scène m’avait plutôt fait sourire, ce n’est pas du tout le cas ici. Pourquoi ? Tout simplement parce que le sujet traité ici ne le mérite aucunement et esthétiser à outrance des séquences extrêmement dures a quelque chose qui confine au choquant. Cela m’a particulièrement marqué lors des différentes scènes d’extermination qui ont droit à des ralentis ou des effets de caméra qui n’apportent absolument rien. Là où ce qui est montré demande justement une retenue et un regard neutre du cinéaste (ou qui donne l’impression de l’être), Jimenez en fait tellement des tonnes et des tonnes que j’en ai été heurté. C’est d’ailleurs assez « amusant » de signaler que j’avais eu la même sensation avec La Rafle, également produit par Iman Goldman. Cédric Jimenez n’est pas aidé non plus par une bande originale particulièrement pompeuse dans sa manière de surligner davantage le propos, le dramatisant davantage de manière complètement artificielle. Cette façon de réaliser explique pourquoi, selon moi, d’un film qui aurait juste pu être moyen parce que « simplement » mal foutu, on passe à un long métrage que je considère personnellement comme dérangeant. Plus qu’une déception, c’est donc pas loin d’être un scandale…