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TimFaitSonCinema
Marienne a seize ans et sa vie dans la cité n’est pas des plus amusantes : en rupture à l’école, elle doit s’occuper de ses petites sœurs et vivre avec les multiples interdits qui régissent son existence. Jusqu’au jour où elle rencontre trois autres filles avec lesquelles elle va sympathiser pour créer une bande de filles, où elle pourra espérer vivre sa vie comme elle l’entend.
Verdict:

En plus de signer un film formellement plutôt réussi, Céline Sciamma parvient avec Bande de filles à poser de vraies questions (pas toujours, finalement, il est vrai) sur la société d’aujourd’hui et notamment sur la place des femmes dans les cités. Et puis, elle permet de découvrir Karidja Touré, dont c’est le premier rôle et qui est tout simplement exceptionnelle, accompagnant son personnage dans toutes ses aventures avec un mélange incroyable de douceur et de détermination.

Coup de coeur:

Karidja Touré

La date de sortie du film:

22.10.2014

Ce film est réalisé par

Céline SCIAMMA

Ce film est tagué dans:

Drame

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 La Critique


Depuis son premier film remarqué en 2007 (Naissance des pieuvres, que, personnellement, je n’avais pas trouvé très réussi), Céline Sciamma est devenue une réalisatrice importante en France et, par la même occasion, elle est un peu érigée en symbole de cette vague de jeunes réalisatrices qui a pris de plus en plus de place dans le paysage cinématographique français depuis quelques années. On peut ainsi penser à Mia Hansen Løve (Un amour de jeunesse et, tout bientôt, Eden) ou encore Rebecca Zlotowski (Grand central) qui sont aussi des figures marquantes de ce qui s’apparente à une nouveauté rafraichissante. Le deuxième film de Céline Sciamma a aussi fait beaucoup parler de lui, autant lors de sa sortie que, bien plus tard, quand une politique est née autour de son utilisation dans les milieux scolaires. Pour le coup, Tomboy était bien plus réussi, à la fois dans la façon dont il s’attaquait frontalement à un sujet sur le principe pas évident (le fait qu’une jeune fille passe pour un garçon auprès de ses amis) mais aussi dans le traitement tout en sobriété et en intelligence de la réalisatrice. Avec Bande de filles, présenté cette année à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes, Sciamma semble clore une forme de trilogie autour de la question de l’identité féminine puisque, chacun à leur manière, ses trois premiers longs métrages mettent cette question au cœur du récit. Là, le titre a le mérite d’être assez clair sur les intentions et, de fait, on ne verra presque que des personnages féminins et les seuls hommes présents n’ont pas le beau rôle, c’est le moins que l’on puisse dire (nous y reviendrons). Une question me taraudait quand même : Céline Sciamma allait-elle continuer sur la lancée de Tomboy ou retomber dans les travers de Naissance des pieuvres ? Honnêtement, même si le long métrage n’est pas parfait, c’est du bon cinéma qui, en plus, pose de vraies questions.

 

Les cinq premières minutes du film sont assez formidables car cette introduction qui paraît peut-être un peu décalée (on voit un match de football américain entre jeunes filles) dit énormément de tout ce que va être le fil. Après cet entraînement où l’on a vu ces jeunes femmes se libérer et faire vraiment ce qu’elles veulent (on se rentre dedans, on fait « vraiment » comme les garçons), la suite va être un peu moins réjouissante. En effet, ce qui forme une bande bruyante et joyeuse à l’entrée de la cité va peu à peu se taire et se disperser devant le regard assez inquiétant des garçons assis devant les barres d’immeubles. Le contexte est posé et il n’est, au départ, guère rassurant. C’est renforcé juste après par cette scène où l’on voit Marienne face à une conseillère scolaire qui veut absolument l’envoyer dans un CAP, ce que refuse la jeune fille de seize ans qui veut faire « comme tout le monde » et passer en seconde générale. On comprend alors qu’elle va lâcher le cursus scolaire et c’est le seul moment où l’on parlera de l’école au cours du film. C’est un peu dommage car il y avait sans doute-là quelque chose à creuser pour expliquer des éléments sur la condition de ces jeunes femmes dans la cité. Car, sinon, on va pouvoir observer tout ce qui rend la vie compliquée, entre les contraintes imposées par les hommes (les frères puisque les pères sont ici absents), une vie compliquée par l’obligation de se substituer à la mère,… Finalement, Marienne décide de s’affranchir de tout cela en incorporant un groupe de filles dont elle apprend à connaître le mode de fonctionnement (en même temps que le spectateur) et pour laquelle elle va adapter sa façon d’être (changement d’habits, de coupe de cheveux,…). C’est là que la jeune femme tente de trouver une certaine libération même si, là-aussi, les choses ne sont pas aussi évidentes.

 

On va suivre son parcours compliqué à travers plusieurs épisodes, car c’est ainsi que le film est construit. Il y en a six (ou peut-être sept) qui sont délimités par cinq secondes de noir complet. En fait, après la moitié du film, on ne verra plus vraiment cette bande de filles mais plutôt le parcours solitaire de Marienne qui tente de s’en sortir comme elle peut avec les contraintes de son existence, et notamment son grand frère qui l’empêche de la vivre comme elle l’entend. Ainsi, c’est un réel film d’apprentissage où cette jeune fille découvre la vie, fait ses propres expériences et prend de vrais risques. C’est parfois assez drôle, notamment parce que, dans cette bande de filles, il y a de sacrés personnages qui, une fois qu’elles se retrouvent seules, font un peu n’importe quoi et se lâchent complètement, au point qu’elles peuvent même être assez agaçantes par moments. Mais, la plupart du temps, l’existence est quand même beaucoup moins amusante. Les actrices (toutes amateurs) sont très bonnes, mais, forcément, on retiendra la performance de la comédienne principale, Karidja Touré, absolument géniale. Son personnage passe par tous les états et l’actrice joue sur tous les registres avec à la fois beaucoup de fraîcheur, de spontanéité mais, surtout du talent à revendre. Elle sort du lot et on devrait la revoir bientôt au cinéma même si ce n’est jamais évident pour les actrices de couleur dans le cinéma français.

 

On peut regretter que le film ronronne un peu dans sa première demi-heure, où les éléments se mettent en place finalement assez lentement et où, surtout, tout est montré de manière assez didactique. C’est en fait la scène où les quatre filles chantent Diamonds de Rihanna (très grande scène, tant formellement que pour ce qu’elle montre) qui va permettre de réellement lancer le long métrage car, à partir de ce moment-là, il va prendre un peu plus d’ampleur et de force. Dans l’ensemble, on peut avoir l’impression assez désagréable que « tout y passe » et que, finalement, beaucoup de clichés sont utilisés. Bien sûr, c’est fait pour les combattre, mais, néanmoins, parfois, ça manque un peu trop de finesse pour que ce soit considéré comme utilisé à bon escient. C’est par exemple le cas de cette scène dans le magasin, assez détestable car, justement, le problème du racisme ordinaire est montré de façon trop nette. Il en est de même sur le rôle des hommes qui, pour le coup, sont tous d’immenses abrutis misogynes. La question religieuse, elle, est complètement absente du film, ce qui, en soi, n’est pas une mauvaise chose car cela évite sans doute des polémiques à n’en plus finir. Ce côté très manichéen ne sert pas forcément toujours l’objectif du film qui s’intéresse bien à la construction de l’identité féminine, qui est ici souvent en rapport avec le regard qu’ont les hommes sur les femmes. D’ailleurs, au cours du long métrage, on va pouvoir observer un peu tous les types de femmes comme autant de stéréotypes : la jeune mère, la maman de substitution, la prostituée, celle qui fait le « bonhomme »,… C’est en tout cas comme cela qu’elles sont définies par les hommes du quartier. Marienne, elle, veut juste pouvoir décider d’elle-même et elle va essayer de sortir de toutes ces cases qu’on semble lui imposer en s’affranchissant justement de ce que les hommes du quartier ont pu décider pour elle. Dans sa réalisation, Céline Sciamma reste assez sobre, avec une mise en scène assez simple, où une grande importance est donnée au jeu de couleurs (le bleu est ainsi très important et pas que dans la scène de Diamonds). Elle ne révolutionne rien mais cela lui permet d’accompagner le destin de Marienne et tous les obstacles qui s’opposent devant son irrépressible envie de vivre. Et c’est principalement cette énergie dont on se souvient en sortant de la séance, ce qui est déjà très bien !




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