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TimFaitSonCinema
Adèle est en classe de première et ne s’interroge pas vraiment sur sa sexualité, jusqu’au jour où elle croise dans la rue une jeune femme aux cheveux bleus. Elle cherche alors à la retrouver et débute entre elles une histoire qui va faire grandir Adèle autant que la faire souffrir.
Verdict:
Un film comme on en voit quand même très rarement et qui marque très profondément. C’est à certains moments virtuose et dans l’ensemble assez incroyable. L’actrice principale, Adèle Exarchopoulos est tout simplement magistrale.
Coup de coeur:

Adèle Exarchopoulos

La date de sortie du film:

09.10.2013

Ce film est réalisé par

Abdellatif KECHICHE

Ce film est tagué dans:

Drame amoureux Palme d'Or

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 La Critique


S’il y a bien un film dont on a entendu parler cette année, c’est bien celui-là. D’abord parce qu’un nouveau long-métrage d’Abdellatif Kechiche fait forcément du bruit. Depuis le début des années 2000, celui qui s’est fait connaître d’abord en tant qu’acteur a réalisé quatre longs métrages qui, chacun à leur façon, ont marqué le paysage cinématographique français et ont remporté à peu près partout des récompenses multiples. Personnellement, je n’ai pas vu ses deux premiers films (La faute à Voltaire et L’esquive) mais j’ai découvert ce metteur en scène avec La graine et le mulet, film pour lequel j’étais allé à reculons mais qui m’avait vraiment convaincu par la vraie force qu’il dégageait et par la puissance de certaines séquences. Vénus Noire, son précédent long métrage, sorti en 2010, était un peu passé inaperçu en France même s’il avait fortement divisé la critique bien que tout le monde salue le côté très courageux du sujet abordé. En 2013, le Franco-tunisien est revenu en force en présentant son nouveau film au Festival de Cannes. Et là-bas, La vie d’Adèle (simplifions comme cela) a fait un véritable carton auprès de la critique et surtout du jury qui lui a décerné la Palme d’Or à l’unanimité et, chose très rare (voire unique), l’a fait au nom du travail du réalisateur et du jeu des deux actrices, intimement associées à cette récompense. Le triomphe était donc déjà total pour Kechiche. Mais, depuis, il ne se passe pas un mois sans que l’on reparle du film à travers le prisme de la polémique. Ce sont d’abord les techniciens qui se sont plaints de conditions de travail terribles. Ensuite, les deux actrices principales ont donné une interview où elles dénonçaient le traitement infligé par le réalisateur et son côté presque tyrannique sur le plateau. Elles se sont (mollement) rétractées, Kechiche a répondu à sa façon… Bref, ça a animé le landerneau cinématographique pendant une bonne période cette affaire-là. Mais maintenant que le film est sorti, il s’agit de le juger sur pièce. Place au cinéma, au vrai et il y a en plus beaucoup à en dire…

C’est typiquement le genre de critique qui n’est pas facile à écrire car, après avoir vu un tel film, beaucoup de choses se bousculent dans la tête. Le réalisateur brasse tellement d’éléments et l’histoire est si forte qu’il n’est pas évident de trouver un vrai fil directeur pour analyser. Et de cette Vie d’Adèle, on peut à la fois tout et rien dire tant c’est vraiment un long métrage qui doit se vivre, se ressentir et dont il n’est pas facile de parler. Je vais quand même essayer et pour commencer, il faut tout de même évoquer le côté quasiment « monstrueux » du projet. A l’heure actuelle, il est très rare que des films de cette durée (trois heures) sortent dans les salles, sans doute parce que ce n’est plus ce que le public attend, mais aussi parce que les distributeurs sont frileux devant une telle durée qui implique nécessairement moins de séances et un public bien moins nombreux (ceux prêts à passer 180 minutes dans un cinéma ne sont pas légion). Et puisqu’on parle du projet en lui-même, il y a un chiffre qui résume peut-être bien son côté totalement fou : 700 heures d’images auraient été tournées, ce qui paraît, quand on y pense un peu, complètement délirant. Finalement, on se dit que réussir à ne faire que trois heures de film confine presque à un vrai coup de force. Mais, quand on évoque cette durée, ce qui est absolument dingue, c’est que, en visionnant le film, on se dit qu’il se construit presque autant dans ce qu’il ne montre pas que dans ce qui est projeté. Car, La vie d’Adèle, c’est un projet quand même un peu fou dont l’histoire se déroule sur plus de cinq ans et qui est principalement une sorte d’épopée amoureuse qui va aussi chercher beaucoup plus loin en étant un film d’apprentissage et, d’une certaine manière, une réflexion sur la société actuelle. C’est donc un long métrage plein, pas forcément facile à appréhender même si tout, finalement, se passe assez « naturellement ».

La vie d’Adèle, c’est principalement une histoire d’amour ou, plutôt, la vie amoureuse d’Adèle car, avant qu’elle ne rencontre Emma, on voit déjà comment elle découvre le désir et comment, aussi, elle semble se chercher. Tout cela dans un univers pas évident puisque ses copines de classe ne la laissent pas tranquille de ce côté-là. C’est tout de même sa rencontre avec cette fille aux cheveux bleus qui va tout déclencher chez elle. D’ailleurs, la séquence où elles se croisent la première fois est assez incroyable et montre déjà beaucoup de choses, tout comme celle où elles se parlent pour la première fois. C’est avec elle qu’elle va vivre une histoire d’amour incroyable car à la fois très belle et très dure, faite de pur désir mais aussi de déceptions terribles. Il ne faut pas réduire ce long métrage à une histoire homosexuelle car je ne crois vraiment pas que ce soit ce qui importe. Il n’y a pas de message militant derrière et ça pourrait aussi bien se dérouler entre une femme et un homme ou entre deux hommes. On a beaucoup monté ce fait en épingle lors du Festival de Cannes car on se trouvait en plein débat sur le mariage pour tous, mais, honnêtement, c’est bien plutôt une histoire d’amour universelle qui est montrée. Mais c’est aussi un film d’apprentissage puisqu’Adèle apprend grâce à sa relation avec Emma beaucoup de choses, elle grandit et devient véritablement une femme. C’est la naissance et l’épanouissement du désir qui est notamment au cœur du film. D’ailleurs, toute cette évolution est marquée par le renversement qui s’opère entre le premier tiers où elle est élève (on la voit en cours) et le dernier où elle devient institutrice (et où elle fait donc la classe). On retrouve même certains éléments et certaines attitudes qui se répondent, pour bien montrer le chemin parcouru pendant toute cette période. Le long métrage se déroule sur plusieurs années mais ce n’est pas une notion importante pour le réalisateur qui choisit plutôt de saisir des instants clés, sans expliquer quand ils se situent. Il y a de longues ellipses, notamment entre ce que l’on peut considérer être les deux chapitres séparés d’au moins trois ou quatre ans et qui sont marqués par le changement de couleur des cheveux d’Emma.

Pour filmer cette vraie épopée amoureuse, le réalisateur ne change pas vraiment ses façons de faire avec une caméra très mobile, une grande importance donnée aux gros plans et un montage qui laisse la part belle à de longues séquences même si, là, on trouve beaucoup de dialogues découpés de façon plus rythmée. Surtout, il a une particularité ici très importante, celle de filmer les corps comme presque personne. Alors que je considère Terrence Malick comme celui qui met le mieux en scène la nature dans toute sa beauté, je pense que je peux dire la même chose sur la question spécifique des corps pour Kechiche. En effet, il a une manière de les mettre en scène et, surtout, de s’en approcher au plus près et de ne pas « desserrer l’étreinte ». La mémorable danse du ventre qui clôt La graine et le mulet en était déjà un très bel exemple mais, là, il va encore plus loin en insistant énormément sur les visages, et notamment la bouche (nous y reviendrons) mais aussi sur la façon dont Adèle se « sert » de son corps. Ainsi, on la voit très souvent se détacher ou se rattacher les cheveux. Il va en tout cas chercher très profondément les émotions de ses personnages, quitte à ne pas les lâcher. Par rapport à ces corps, comment ne pas évoquer cette fameuse séquence de sept minutes trente (certains ont donc chronométré…) qui fait tant couler d’encre ? Celle où l’on voit l’acte sexuel entre Adèle et Emma. Pour cela, d’ailleurs, le film est interdit aux moins de 12 ans et on pouvait même s’interroger sur une interdiction encore plus « dure » car, autant le dire tout de suite, c’est très explicite et je comprends que cela puisse choquer. Mais, là encore, ça s’inscrit tout à fait dans la logique du long métrage puisque le réalisateur veut montrer un amour dans sa globalité et le sexe ne peut être ignoré ou mis de côté. Alors, il en fait notamment une séquence qui est peut-être un peu trop longue mais qui est surtout marquante par sa beauté (c’est très pictural) et son caractère finalement très sobre (pas de musique ou d’effets stylistiques). Ainsi, pour moi, on ne peut pas parler de véritable pornographie (comme certains l’ont fait) mais plutôt d’une façon vraiment personnelle de montrer l’une des facettes essentielles du sentiment amoureux et du désir qui en découle.

Kechiche confirme aussi qu’il sait formidablement bien filmer les repas. Alors que c’est un élément très important dans la culture française, lui leur donne une vraie importance. On se souvient de cette séquence absolument géante dans La graine et le mulet autour d’un repas de famille et bien, là, ce sont deux scènes très importantes qui ont lieu pendant des repas : les rencontres avec les parents d’Emma puis d’Adèle, des rencontres qui n’ont rien à voir et qui montrent aussi la différence de milieu entre les deux amoureuses et qui disent à leur façon beaucoup sur la société dans son ensemble. Avec Kechiche, on sent que rien n’est jamais dû au hasard et que toutes ses scènes veulent toujours dire quelque chose, du personnage ou encore du monde qui l’entoure. Parfois, on cherche mais il faut bien se dire que rien n’est gratuit. Mises à part ces deux scènes clés, pendant tout le long métrage, la nourriture et le fait de manger ont une vraie importance et Kechiche n’hésite pas à filmer au plus près les bouches qui avalent les aliments. Même si ça semble parfois un peu trop marqué et ça pourrait passer pour ridicule, on sent que c’est très important chez lui et que ça a une vraie signification. D’une certaine manière, ça rythme aussi le film et lui donne bien ce côté simple et universel. Il orchestre aussi certaines séquences vraiment incroyables pour la force qu’elles dégagent. Et ce qui est le plus étonnant, c’est cette manière qu’il a de donner à des scènes a priori anodines un caractère bien supérieur par la façon dont il les filme. C’est le cas par exemple de l’anniversaire d’Adèle où des plans magnifiques se succèdent sans que l’on s’y attende vraiment. Autant dire que, pendant trois heures, on a le temps de voir une succession de passages parfois tout près de la virtuosité.

La vie d’Adèle, c’est aussi (et peut-être surtout) une actrice, Adèle Exarchopoulos, qui dévore littéralement le film. Jamais je n’avais vu une performance autant marquer un long métrage. Cette jeune comédienne de vingt ans est une révélation absolue et doit déjà être érigée au rang de star. Et si j’utilise le terme « dévorer », c’est loin d’être un hasard car Kechiche la filme énormément de près, en gros plans et sa bouche est ainsi particulièrement importante pendant tout le film. C’est une bouche qui parle, qui mange, qui embrasse, qui tremble, bouche toujours entrouverte (même quand elle dort), toujours prête à l’action. Mais le jeu dans son ensemble de l’actrice est à souligner. Elle passe par tous les états et les rend tous parfaitement, comme si elle était totalement habitée par son personnage. C’est même dans les séquences les plus banales où elle est la plus étonnante comme lors de cette fête qu’Adèle organise pour Emma et où on ressent véritablement tout ce qui peut se passer en elle (une certaine peur, de la gêne et un sentiment d’infériorité). A certains moments, je me suis demandé si cette présence plus que marquante n’était pas justement trop forte car on ne voit plus qu’elle et on oublie le film en lui-même et notamment tout ce qui gravite autour d’elle. Elle incarne en tout cas complètement une jeune fille qui devient femme et qui apprend de la vie, avec ses bonheurs et ses malheurs. Même Léa Seydoux, que je trouve d’habitude assez fade et peu intéressante, est ici particulièrement performante. Forcément, elle est en grande partie éclipsée par sa partenaire mais elle réussit tout de même très bien à rendre le côté presque solaire et évanescent de son personnage. Pour sûr, le tournage n’a pas dû être évident pour les deux actrices car elles vont très loin dans chacun des sentiments qui les habitent.

Finalement, de ce long métrage, je ne suis pas forcément un adorateur absolu. Il y a quelques petites longueurs (même si je n’ai pas vu les trois heures passer) et des éléments un peu discutables par ci par là. Mais on ne peut quand même qu’être ébahi devant une telle démonstration de cinéma. Ce film est une vraie œuvre où le réalisateur est allé au bout de ses intentions et a vraiment réussi à transmettre des émotions au spectateur. On sent qu’il y a un véritable souffle derrière, que c’est à la fois construit et presque intuitif et que le projet au départ un peu fou a été mené jusqu’au bout pour aboutir à un film comme on en voit très rarement. Ce qui est pratiquement certain, c’est qu’avec La vie d’Adèle, Abellatif Kechiche a marqué de son empreinte le cinéma français. Alors que ses films précédents (auxquels il glisse quelques références comme ce début et cette lecture de Marivaux, comme une suite à L’esquive) n’avaient justement pas franchi ce cap, celui-ci le fait car c’est un long métrage dont on reparlera dans de nombreuses années tant il est marquant et inoubliable. Longtemps après la séance, on y pense encore et certains flashs nous reviennent. On ne ressort pas pareil après un tel film et on ne peut s’empêcher de voir aussi le cinéma dans son ensemble différemment. Et c’est quand même aussi ce qu’on attend du Septième Art : nous toucher jusqu’au plus profond et nous offrir des longs métrages sont on se souviendra longtemps. Alors, fi des polémiques et de tout ce qui a pu être dit depuis six mois, La vie d’Adèle est un très grand film, unique en son genre et qui mérite complètement sa Palme d’Or. Il se pourrait bien que ce ne soit pas sa seule récompense glanée au cours des prochains mois… Rendons-donc hommage et remercions Kechiche et son interprète principale, Adèle Exarchopoulos, pour nous avoir offert une telle œuvre. Un vrai chef d’œuvre ? Je n’irais pas jusque-là, mais quand même, quel long métrage…


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Fiz 13.10.2013, 14:42

C'est un film marquant : intense en émotions et très sensuel.
On retrouve la manière de filmer d'Abdellatif Kechiche (dans "L'esquive" notamment), très près des visages, idéale pour restituer les émotions éprouvées. D'accord avec toi, Tim, pour dire que l'actrice interprétant Adèle est la vraie révélation de ce film. Elle dégage une grande sensualité à l'écran. Et c'est vrai que c'est aussi un film sur la différence de milieu social (populaire / bobo aisé).
Juste 2 bémols : la longueur des scènes de sexe n'apporte rien au film (sauf de l'impudeur et du voyeurisme) et la durée du film (3h) entraîne quelques longueurs.
Pour autant, cela reste un film très prenant qui retranscrit une passion et un déchirement, beaucoup d'émotions et de grands sentiments. Et je rejoins ton avis, le film parle de quelque chose d'universel qui dépasse totalement l'homosexualité : le fait d'éprouver des sentiments.
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Tim Fait Son Cinéma 13.10.2013, 19:44

Merci pour ce commentaire
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mht 16.10.2013, 10:23

Bravo pour cette critique fouillée qui donne envie de découvrir ce film dont on a tant entendu parler !
J'irai bientôt, c'est sûr désormais !


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