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TimFaitSonCinema
C’est la rencontre entre Ali, un belge venu chercher une meilleure vie dans le sud de la France, et de Stéphanie, dresseuse d’orques qui perd l’usage de ses jambes suite à un horrible accident de travail. Entre eux, une histoire singulière naîtra…
Verdict:
Puissant, émouvant, extrêmement bien mis en scène, interprété à la perfection, De rouille et d’os est une formidable réussite en tous points. C’est en tout cas un véritable uppercut. De rouille et d’or ?
Coup de coeur:

Matthias Schoenaerts

La date de sortie du film:

17.05.2012

Ce film est réalisé par

Jacques AUDIARD

Ce film est tagué dans:

Drame amoureux

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 La Critique


Un nouveau film de Jacques Audiard est forcément un évènement dans le paysage cinématographique français (et même international, n’ayons pas peur des mots !). En effet, il n’a réalisé que six films en dix-huit ans et ces deux derniers longs-métrages (De battre mon cœur s’est arrêté et Un prophète) ont été de véritables succès à la fois publics – plus d’un million d’entrées – et critiques tout en obtenant la considération de la profession avec huit César du Cinéma en 2006 pour le premier et neuf pour le second en 2010 ainsi qu’un Grand prix du Jury en 2009 à Cannes. Ce réalisateur apparaît aujourd’hui comme une véritable « machine à gagner des trophées ». Mais il faut dire avant toute chose que ces honneurs sont bien mérités car ces deux films étaient particulièrement forts et en tout cas très marquants. Il est donc de retour avec, dans ses bagages, l’actrice française la plus connue dans le monde aujourd’hui. En effet, il a réussi à « faire revenir » Marion Cotillard dont la carrière s’inscrit de plus en plus à Hollywood avec des réalisateurs toujours aussi prestigieux (elle est quand même la tête d’affiche du prochain James Gray, avec Joaquin Phoenix…). En face d’elle, un comédien encore inconnu du paysage français mais si talentueux, Matthias Schoenaerts, que j’ai découvert cette année dans le puissant Bullhead. Tout cela dans une histoire d’amour impossible entre deux êtres au destin complexe. Evènement, c’est certain, mais De rouille et d’os est-il une réussite ?

Ce long métrage fait partie de cette catégorie de films qui se bonifient bien après la fin de leur visionnage. En effet, juste après le générique, on est un peu trop sous le choc pour réellement apprécier ce que l’on vient de voir. Mais, assez vite, la réalité nous rattrape : oui, on a bien assisté à un très grand moment de cinéma. Ce qui est d’abord assez fascinant, c’est la façon dont le scénario est à la fois simple – une histoire d’amour contrariée – et particulièrement complexe. Il y a, dans ce film, beaucoup d’éléments, des histoires singulières qui se télescopent et des éléments différents qui interfèrent. Mais c’est un foisonnement qui se tient toujours. Cela est notamment dû au fait que la ligne dramatique est très claire autour de deux être brisés de manière différente. C’est bien l’évolution de la relation entre Ali et Stéphanie qui est au cœur du film. C’est elle aussi qui le rythme puisqu’il y a de nombreuses ellipses mais elles correspondent toujours à des stades différents dans la manière dont ces deux personnages parviennent à appréhender leurs sentiments. Au départ, cette relation n’est pas vraiment évidente et c’est paradoxalement l’accident de Stéphanie qui va les rapprocher puisque celui-ci « coupe » aussi la jeune femme de son milieu (sauf une amie qui reste et fait tout pour redonner à Stéphanie le goût à la vie). Cette histoire d’amour est, il faut le dire, assez incroyable dans la manière dont elle se déroule et dans ce qu’elle donne à chacun des personnages, changés à jamais par cette expérience.

Là où le film est aussi très intéressant, c’est que la réalisateur semble s’insérer au cœur d’une histoire, plus qu’en construire vraiment une. En effet, on devine qu’Ali a déjà vécu un certain nombre de galères dans son pays d’origine, la Belgique. Mais de cela, on ne saura rien puisque le film commence alors qu’il voyage pour le sud de la France pour aller habiter, avec son fils de cinq ans, chez sa sœur. C’est là, dans ce nouvel univers, qu’Ali va essayer de trouver sa place, en tant qu’agent de sécurité notamment. Mais, très vite, la violence, toujours en toile de fond dans ce film, le rattrape. En effet, c’est lors d’une bagarre à la sortie d’une boîte de nuit qu’il rencontre Stéphanie. Ensuite, il deviendra un combattant clandestin, pour gagner un peu d’argent. Mais, paradoxalement, c’est aussi cette violence qui lui permettra de s’en sortir. Mais cette violence n’est pas que physique, elle est aussi présente partout dans un monde où les difficultés sociales semblent de plus en plus fortes. La misère, elle, n’est jamais loin non plus. Misère matérielle des gens qui vivent de petits boulots mais aussi affective pour cet homme qui n’arrive pas à montrer et à dire ses sentiments. Ainsi, le scénario est âpre, dur, complètement inscrit dans notre époque de « crise ». Si l’histoire est aussi forte, c’est aussi qu’il y a une grande intelligence dans la construction du film. Beaucoup d’éléments se répondent, se complètent ou sont annonciateurs de ce qui va venir. Le générique de début, par exemple, fait directement référence à deux moments clés dans le film, ces séquences qui font basculer de façon irrémédiable la vie de ceux qui les vivent.

La réalisation de Jacques Audiard colle parfaitement à son sujet, à la fois nerveuse et intense quand il le faut et posée quand le propos le demande. Il y a en cela une véritable maîtrise tout le long du film, de vraies idées et beaucoup de force dans tout ce qu’il veut montrer. Dans sa réalisation, on sent bien qu’Audiard n’a pas peur de se confronter à tous les sujets qu’il traite, ceux qu’ils soulèvent comme ceux qui sont induits par son histoire. Il en affronte même frontalement. Le réalisateur est aussi très performant dans sa gestion du rythme, puisqu’il sait parfaitement accélérer certains passages, presque sous forme de clip afin de se concentrer sur les passages vraiment essentiels à l’histoire. On peut vraiment parler en ce sens d’une mise en scène parfaite. C’est notamment le cas pour toutes les scènes clés du film qui sont autant de tableaux et qui sont particulièrement marquantes car toutes ont un aspect singulier et une véritable force. D’ailleurs, Audiard a une façon assez impressionnante d’amener ces évènements importants. En tant que spectateur, on les sent venir, comme si une forme de pression s’installait peu à peu. Mais c’est tellement bien fait que l’on est surpris tout de même. Et le long métrage, si bien maitrisé, est entrecoupé de passages tout simplement extraordinaires que l’on peut même qualifier d’instants de grâce. Que dire de cette scène où Stéphanie « communique » avec un orque à travers la vitre, celle-ci symbolisant la proximité qu’elle a perdu avec son accident.

Il ne peut y avoir de films réussis sans grands comédiens. Ce sont tout de même eux qui parviennent (ou pas) à faire passer ce que souhaite le réalisateur. Et là, Audiard a touché le gros lot, c’est le moins que l’on puisse dire. Je ne suis pas un grand fan de Marion Cotillard, loin de là, mais force est de reconnaître qu’elle est tout simplement grandiose dans ce film. Toute en justesse dans le rôle de cette femme, mélange de force et de faiblesse, elle est vraiment excellente et touchante. C’est sans doute à l’heure actuelle son plus grand rôle au cinéma. Personnellement, je considère que si sa performance était grande dans La Môme, elle est dans ce film beaucoup plus impressionnante car c’est un véritable rôle de composition et non une imitation. En plus, elle accepte tout de même de jouer une immense grande partie du film « sans jambes », ce qui ne doit pas être évident du tout. Et ce film est surtout l’occasion de donner une vraie place dans le cinéma français à Matthias Schoenaerts. Il poursuit la longue lignée des acteurs belges qui passent la frontière et se font connaitre chez nous. Retenez bien son nom car grâce à ce film, il devrait assez vite devenir une vedette. La raison est simple : il est juste incroyable. Le personnage qu’il incarne est tout de même assez complexe, dans la façon dont il cherche à tout retenir et à ne rien extérioriser, dans la manière aussi dont sa violence est à la fois visible mais toujours contenue jusqu’à des explosions impressionnantes. Tout cela, l’acteur le rend à la perfection et on ne peut que le féliciter. Pour ces deux comédiens, ça peut sentir très bon pour un Prix d’interprétation en fin de Festival. A moins qu’une récompense plus importante ne vienne couronner le film dans son ensemble et ne prive les acteurs de toute possibilité.

De rouille et d’os marque vraiment le spectateur par sa force et son intensité de tous les instants. L’émotion est souvent à fleur de peau, grâce à un regard, à une parole, ou à un plan, jamais plus. On ne peut pas décrocher car on a vraiment l’impression qu’il peut toujours se passer quelque chose. Le dernier quart d’heure, lui, est vraiment très beau et donne à ce film une réelle force. Par séquences, De rouille et d’os est tout simplement magnifique. Ce qui est sûr, c’est que ce long-métrage se place dès maintenant comme le film français de l’année, celui qui a les plus grandes chances de rafler les récompenses début 2013. Espérons aussi qu’il puisse toucher un public assez large et qu’il remporte l’adhésion des spectateurs. Et c’est maintenant sans doute parti pour trois ans d’attente avant le prochain Jacques Audiard qui fera de nouveau l’évènement, peut-être encore à Cannes, en espérant que ce soit aussi réussi que celui de cette année. D’ailleurs, même un peu moins bien, on prendra. Il faut dire que De rouille et d’os a vraiment placé la barre très haute.

REVU LE 26/05/2012



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