L'Article
Cela fait un certain temps que je trouve que cette discipline évolue dans la mauvaise direction. Et je me considère en quelque sorte comme complice des modifications dans ce sport en continuant à le regarder à la télé quand je le peux. Mais je n’avais encore jamais franchi le pas de me dire qu’il fallait que j’arrête de m’y intéresser afin d'arrêter de cautionner tout cela.
Je crois que les images d’hier soir (un jeune joueur mis KO par une charge et soigné pendant de longues minutes sur le terrain, avec des draps blancs autour, comme lors d’une scène de crime) m’ont définitivement fait basculer et me font m’interroger très sérieusement sur le fait de regarder ou pas les prochaines échéances télévisées et notamment le Tournoi des VI Nations.
Ça valait bien une petite lettre d'explication...
Cher Rugby,
Dans mon lien avec le sport, tu as forcément une place importante. Parce que, d’abord, tu es l’une des disciplines les plus accessibles au niveau télévisuel puisqu’il y a beaucoup de rencontres diffusées sur des chaînes en clair, que ce soit au niveau international ou européen. Et puis, ce sont de nombreux souvenirs d’enfance, notamment cette deuxième mi-temps magique contre les Blacks, en demi-finale de la Coupe du Monde 1999, ou encore ces samedi après-midi d’hiver passés avec mon papa à regarder un France-Irlande ou un bon vieux Crunch des familles (France-Angleterre, pour les non-initiés).
Mais, depuis quelque temps, j’ai de plus en plus à te reconnaître, toi la discipline que j’ai appris à apprécier quand j’étais plus jeune. Un sport où, évidemment, le combat a toujours été présent – c’en est même la base – mais où les joueurs des lignes arrières avaient un physique relativement « quelconque » et cherchaient à éviter les défenseurs par des crochets et des courses chaloupées. Un sport où il y avait des blessés – forcément – mais où une fracture de la jambe d’un international faisait la une des journaux spécialisés. Un sport où, sur 80 minutes de match, il y avait beaucoup de pause, parce que les joueurs avaient besoin de récupérer de leurs efforts intenses.
Et je ne veux même pas parler ici des polémiques qui touchent de plus en plus souvent tes instances, et font beaucoup de mal à tes sacro-saintes « valeurs » (auxquelles je n’ai jamais vraiment cru, soit dit en passant). C’est une dérive qui est malheureusement logique quand il y a de plus en plus d’enjeux – sportifs et financiers – et il faut voir cela d’une certaine manière comme une rançon de la « gloire ». Je ne veux pas non plus évoquer l’absurdité de ton calendrier qui « oblige » un club à envoyer des gamins de dix-huit ans face à des machines de guerre. Non, moi, ce qui m’effraie, c’est bien ce qui se passe sur le terrain.
Une scène devenue bien trop habituelle sur les différents terrains...
Aujourd’hui, de plus en plus, tu ressembles à un « jeu de massacre ». Les protocoles commotion sont ainsi légion (au moins trois ou quatre lors des derniers matchs que j’ai pu regarder) et les joueurs blessés de plus en plus nombreux (de sorte que l’on n’en parle presque plus et que « se faire les ligaments » est quasiment devenu normal dans une carrière). Et tout cela vient d’une évolution dans le jeu que j’ai remarqué depuis pas mal de temps et qui est résumé dans une formule aujourd’hui bien connue : « consommer des défenseurs ». Le but, maintenant, c’est d’aller plein fer dans la défense en espérant que la charge soit décisive mais, surtout, en comptant sur le fait qu’il y ait suffisamment de défenseurs impliqués suite à cette charge pour libérer des espaces. Et, souvent, on y va les coudes ou les avant-bras en avant, tant qu’on y est…
C’est pourquoi les joueurs sont devenus de plus en plus massifs, à la fois pour s’intégrer dans ce type de jeu en phases offensives, mais également pour y répondre de l’autre côté du terrain. Ce sont presque tous aujourd’hui des athlètes de plus de 120 kgs capables de courir le 100 mètres en 12 secondes environ. Et je ne cherche même pas à savoir la manière (plus ou moins licite) qu’ils utilisent pour arborer des physiques si improbables… En tout cas, je te laisse imaginer la violence des chocs… De nombreuses études montrent d’ailleurs que la répétition de ces collisions est très dangereuse à moyen et long terme pour des joueurs qui, une fois leur carrière finie, peuvent développer de graves pathologies.
Les médias n’ont-ils pas une part de responsabilité, en louant les « charges destructrices » ou autres « formidables caramels », en mettant au pinacle Sébastien Chabal et ses actions défensives qui ont coûté une machoire ou une épaule aux joueurs adverses, ou encore en continuant à insister sur une augmentation substantielle du temps de jeu effectif depuis des années ? Sans doute. Mais, en tant que téléspectateur, je me dois aussi de prendre mes responsabilités et de m’interroger sérieusement sur le fait de continuer à te regarder. J’ai de plus en plus le sentiment de cautionner une violence qui aboutit déjà à de graves blessures et qui, nécessairement, si ça continue comme cela, va déboucher sur des drames toujours plus importants.
La charge de Vatakawa hier soir qui a valu cette terrible frayeur à tout le monde...
Y’a-t-il des solutions pour te sortir de cette passe de plus en plus dangereuse ? Sans doute oui et je t’en livre quelques-unes qui sont plus ou moins réalistes mais qui ont au moins le mérite de poser les débats. Ne pourrait-on pas augmenter les dimensions du terrain pour favoriser plus d’espace ? Pourquoi ne pas introduire une limite de poids sur l’ensemble des quinze joueurs d’une équipe ? Pourquoi ne pas sanctionner plus durement tous les contacts dangereux pour l’intégrité physique de l’adversaire ? Certains anciens joueurs disent même que réduire le nombre de remplacements obligerait les joueurs à se préparer à jouer 80 minutes et miser donc plus sur l’endurance et moins sur la puissance. Ce sont autant de pistes qu’il s’agirait de regarder de plus près…
Je ne sais pas si je suis encore tout à fait prêt à ne plus te regarder, mais j’ai de plus en plus honte quand je le fais et j'aime de moins en moins ce sentiment… Et s’il faut en passer par là pour que les choses changent et que l’on arrête cette évolution toujours plus dangereuse, je le ferai sans hésiter. Je pense qu’il en dépend maintenant de la vie de ceux qui te pratiquent. Attend-on qu’il y ait un mort sur l’un de tes terrains suite à un contact trop violent pour enfin réagir ? J’espère sincèrement que des réflexions auront lieu rapidement car tu es un sport qui va peu à peu disparaître. En effet, je ne me vois pas autoriser mon enfant te pratiquer aujourd’hui. J’aurais bien trop peur des conséquences pour son futur…
Oui, rugby, je t’ai aimé mais, franchement, je ne peux plus continuer à le faire comme si de rien n’était. Tu dois te réformer et stopper cette dérive vers toujours plus d’impact physique. Sinon, tu disparaîtras et je ne serai pas le premier à te plaindre…