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L’INCOLORE TSUKURU TAZAKI ET SES ANNÉES DE PÈLERINAGE DE HARUKI MURAKAMI

 L'Article


Haruki Murakami



Tsukuru Tazaki a 36 ans et vit une existence assez terne à Tokyo. Pourtant, il fait le métier - construire des gares - dont il a toujours rêvé. Mais une blessure vieille de seize ans, l'exclusion brutale d'un groupe de cinq amis inséparables, ne s'est visiblement jamais refermée, d'autant plus qu'il n'a jamais eu la moindre explication. Sa rencontre avec Sara, jeune femme avec qui il a une relation particulière, va le faire évoluer et chercher des réponses à toutes ses interrogations. Même si, pour cela, il doit aller jusqu'en Finlande...



Ca y est, le voilà « enfin » ce nouveau Murakami. Avec ces délais de traduction, la sortie des ouvrages de cet auteur japonais se trouve toujours être très longtemps après qu’ils aient été distribués dans son pays d’origine. Une nouvelle fois, celui-ci a fait un tabac là-bas et, même en Angleterre, certaines librairies ont ouvert à minuit pour accueillir les plus grands fans de l’écrivain. En France, et même si Murakami s’est offert une place de choix dans le cœur de nombreux lecteurs, on n’a pas eu autant de frénésie. De mon côté, pourtant, j’étais plus qu’excité à l’idée de retrouver un « vrai » roman du maître japonais après la parenthèse (très loin d’être inintéressante) Underground. Avec L’incolore Tsuruku…  (appelons le comme cela), Murakami revient visiblement à une histoire bien plus réaliste, genre qu’il avait quelque peu délaissé ces dernières années puisque Kafka sur le rivage ou encore 1Q84 (tomes 1, 2 et 3) se construisaient autour de mondes à moitié fantastiques (toujours chez l’auteur la différenciation pas évidente à faire entre rêve et réalité) alors que La ballade de l’impossible ou Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil (que je considère comme ses deux plus beaux romans) étaient justement ancrés dans la réalité (bien que les rêves aient aussi leur importance). Et Murakami prouve une nouvelle fois qu’il n’a rien perdu de son talent pour faire d’un homme tout à fait ordinaire le héros d’une aventure extraordinaire.

 

Et comme souvent chez lui, ce qu’il vit n’a en apparence absolument rien d’exceptionnel. Ce Tsuruku est même ce que l’on peut considérer comme un citoyen moyen, qui, sans être complètement désocialisé, est souvent seul et s’entretient physiquement à la piscine. Il a la chance de faire un travail dont il rêvait petit mais qui ne le comble pas tout à fait non plus. C’est typiquement le genre de personnages que Murakami affectionne. Pourquoi ? Parce que, justement, c’est ce qui se passe à l’intérieur de l’esprit de cet homme qui va devenir le cœur du roman, qui se transforme en une sorte d’enquête intime d’un protagoniste qui, après avoir vécu un choc terrible, essaiera de se reconstruire afin de retrouver une paix intérieure. Et c’est là que l’écrivain est absolument formidable car il nous fait pénétrer dans l’esprit de Tsuruku dont on comprend le ressenti et les émotions. On a le sentiment que Murakami sait vraiment de quoi il parle lorsqu’il évoque cette douleur très profonde. Et on va espérer avec cet homme comprendre ce qu’il s’est passé pour que ce groupe de cinq amis qui constituait presque toute sa vie devienne ce qui l’a fait dépérir si longtemps. Comme dans toute enquête, Tsuruku devra repartir sur les lieux du « crime » et interroger les témoins, même ceux qui se trouvent à près de douze heures d’avion. D’ailleurs, les chapitres en Finlande sont étonnants car c’est (dans mon souvenir) la première fois que Murakami s’aventure en dehors du Japon, mais il le fait avec le même sens de l’observation et la même justesse dans l’écriture.

 

Car Murakami a toujours cette faculté assez exceptionnelle à écrire à la fois très simplement, en faisant passer toutes les idées qu’il souhaite mais en gardant une vraie poésie dans son style. Personnellement j’adore son écriture, jamais foisonnante mais toujours efficace et épurée. Il y a dans ce L’incolore Tsukuru… une vraie mélancolie qui se dégage et même, à quelques moments, une certaine dureté puisque c’est un roman dont le thème principal reste le sentiment d’abandon. L’amour est toujours présent, en filigrane (Murakami ne peut pas faire autrement) mais c’est bien la perte de l’amitié qui est au cœur de tout et qui déclenche cette enquête interne qui débouchera sur une fin assez extraordinaire, comme l’auteur sait nous les faire : ouverte sur beaucoup de possibles et à la fois concluant magistralement son œuvre. Sans doute ce livre n’est-il pas à mon sens aussi fort que La ballade de l’impossible (notamment du fait de la place accordée à l’amour) mais il développe un autre sentiment tout aussi fort, souvent présent dans les livres de l’auteur mais qui, ici, est mis en avant de façon magnifique. Pour tous les fans de Murakami, ce livre sera un régal et il pourrait même convertir de nouveaux adeptes à la lecture de celui qui est aujourd’hui presque un Dieu vivant dans son pays, et pas loin de l’être dans mon panthéon littéraire…



« - J’avais peut-être peur d’aimer une femme sérieusement, qu’elle ne me devienne indispensable. Peur qu’un beau jour, soudain, sans aucun préavis, elle ne disparaisse je ne sais où, et que je me retrouve seul en fin de compte.


- Par conséquent, consciemment ou inconsciemment, tu as toujours observé une certaine distance avec tes partenaires. Ou alors tu as choisi des femmes qui posaient elles-mêmes cette distance. Pour ne pas être blessé à la fin. C’est bien ça ?


Tsukuru ne répondit rien. Son silence signifiait qu’il était d’accord. Mais en même temps, il savait qu’ils n’avaient pas touché le cœur du problème.
»

 

Encore une fois, Murakami fait très fort avec son nouveau roman. Revenu à quelque chose de moins « fantastique » que ses dernières œuvres (Kafka sur le rivage ou 1Q84), il retrouve son incroyable capacité à sonder les tréfonds de l’âme d’un homme tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Et dans ce réalisme, il excelle une nouvelle fois, parvenant à provoquer l’émotion dans une dernière partie assez formidable. On ne le dira jamais assez mais Murakami est grand !!

 



L'incolore Tsukuru...




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