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COULEURS DE L'INCENDIE DE PIERRE LEMAITRE

 L'Article


Pierre Lemaitre

Sept ans après la fin de Au revoir là-haut, on retrouve Madeleine, la sœur d’Edouard, lui qui avait fini par se suicider à la suite de ses différentes aventures. Alors qu’elle enterre son père, banquier reconnu dont elle hérite de la fortune et de l’empire familial, un événement brusque et tragique va profondément transformer son existence. Elle va tout faire pour s’en relever, dans un monde qui ne lui fait aucun cadeau.

Il y a un peu plus de trois ans, j'avais franchement été conquis par le livre qui avait obtenu le Prix Goncourt en 2013, à savoir Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre. Je n'ai pas encore pu voir l'adaptation au cinéma d'Albert Dupontel (le film étant sorti la semaine de la naissance de ma fille...) mais j'en ai entendu des sons de cloche très différents, ce qui m'intrigue assez, pour être honnête. Et je ne savais pas non plus que ce livre s’inscrivait dans une trilogie en préparation et dont voici donc le deuxième volet. Personnellement, je ne parlerais pas vraiment de suite puisqu’on ne trouve qu’un seul personnage en commun (Madeleine Péricourt) et son rôle était de plus suffisamment faible dans Au revoir là-haut et l’intrigue se déroule sept ans plus tard. C’est en fait surtout une ambiance que l’on retrouve, celle de la France de l’entre-deux-guerres, même si, là, bien plus que le souvenir d’un premier conflit destructeur à tous les niveaux ou presque, c’est la crise financière et la montée des nationalismes à travers l’Europe qui sont au cœur des préoccupations. Si on change donc de personnages principaux, on peut tout de même dire que Pierre Lemaitre, lui, en a encore sous le coude et nous offre un roman dense, dont on ne voit pas défiler les plus de 500 pages et qui finit par se dévorer, tant on est happé dans cette aventure qui implique de nombreux personnages.

Car l’écrivain conserve ici son formidable talent pour donner à son livre un souffle romanesque : on ne s’ennuie jamais et il a une manière d’écrire qui ne fige jamais l’action mais qui, au contraire, pousse à une sorte de mouvement perpétuel dans lequel on est nécessairement entrainé. Il le fait en changeant de point de vue, en évitant les descriptions trop longues ou en prenant parfois directement à partie le lecteur. En ce sens, la scène inaugurale – et décisive pour la suite – est un modèle du genre. Ensuite, le livre se divise en deux parties bien distinctes, la première correspondant à la chute sans fin de Madeleine Péricourt, et la seconde à sa vengeance sans faille auprès de ceux qui lui ont fait du mal, directement ou indirectement. Forcément, tout se passe un peu trop bien dans cette revanche pour que ce soit complètement crédible mais l’ensemble est tellement bien mené que l’on oublie vite les quelques petites facilités scénaristiques. Ainsi, de nombreux personnages apparaissent et tous ont un côté cartoonesque (ils ont des caractéristiques très précises) mais certains sont bien plus profonds qu’ils peuvent le laisser imaginer au premier abord. Dans cette galerie, la cantatrice Solange (sorte de Castafiore encore plus loufoque), la femme de chambre Vladi (qui ne prononce pas un mot de français du livre) ou encore Robert (l’escroc charmeur mais bas du front) sont délicieux.

Mais au-delà même de ce qui se passe pour les personnages, là où j’ai trouvé ce roman captivant, c’est dans sa manière de s’inscrire dans une époque et de retranscrire à sa façon son ambiance et les changements qui sont à l’œuvre mais aussi ceux qui se profilent. À aucun moment Pierre Lemaitre ne se veut historien (d’ailleurs, j’apprécie beaucoup la manière dont il s’« excuse » à la fin du roman auprès d’historiens réputés sur cette époque) et il a plutôt vocation à montrer un air du temps et reprendre à sa façon quelques éléments qui ont vraiment eu lieu pour servir sa fiction. Et il fait cela avec grand talent. Mais, pour autant, de nombreuses thématiques abordées par l’écrivain sont excessivement actuelles, que ce soit sur la politique, à la fois nationale et européenne, sur les abus de la finance ou encore sur le rôle de la presse dans la construction de l’opinion. Comme si, en presque cent ans, pas grand-chose n’avait changé, ce qui n’est, avouons-le, pas vraiment rassurant… Par contre,  une fois encore (c’était déjà le cas pour Au revoir là-haut), l’épilogue est un peu « raide » et clôt de manière abrupte ce livre. Mais je me dis que, dans le troisième tome, l’auteur se fera un plaisir de nous replonger dans les aventures de certains de ces personnages auxquels on s’est attaché au fil des pages. Je l’attends donc avec impatience !

« Elle se consolait en constatant que la maison avait repris une vie à peu près normale, du moins, autant que pouvait l’être un lieu qui voyait cohabiter un enfant à demi paralysé, une nurse qui ne parlait pas un mot de français, un journaliste appointé pour ne rien faire, une dame de compagnie qui avait tapé dans la caisse plus de quinze mille francs et l’héritière d’une banque familiale qui n’avait aucune idée de ce qu’étaient un seuil de cession ou une valeur nominale de créance. »

 

Une nouvelle fois, Pierre Lemaitre nous emporte dans un tourbillon romanesque assez fascinant et dont il est difficile de se détacher. Il a pour lui un vrai sens du rythme, un humour grinçant à toute épreuve et une capacité à brosser des personnages attachants. Et son histoire s’inscrit dans un décor historique bien précis, mais qui peut par certains égards faire écho à ce qu’il se passe aujourd’hui. On attend de voir ce que nous réserve le dernier volet de la trilogie qui, je pense, sera consacré aux aventures de Paul pendant la Deuxième Guerre Mondiale. C’est en tout cas comme cela que je le sens.

Couleurs de l'Incendie




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