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CIVILIZATIONS DE LAURENT BINET

 L'Article


Laurent Binet

Et si les Vikings avaient émigré vers le sud aux environs de l’an mille ? Et si Christophe Colomb n’était jamais arrivé en Amérique ? Et si les Incas avaient débarqué à Lisbonne au milieu des années 1500 avant d’envahir l’Europe ? C’est bien ces différentes éventualités qui sont imaginées ici… Et, forcément, la face du Monde en serait changée…

Laurent Binet passe actuellement un peu pour être la nouvelle coqueluche de la littérature française. Les quelques livres qu’il a écrit ont tous connu un succès, notamment en termes de prix remportés (HHhH – dont l’adaptation était détestable – a eu le Goncourt du premier roman et La Septième Fonction du langage le Prix Interallié) et c’est encore une nouvelle fois le cas avec Civilizations qui a obtenu le Grand Prix du roman de l’Académie française en 2019. Bref, on a là un hauteur qui est visiblement reconnu par la critique mais aussi par ses pairs. Et je dois avouer que son dernier livre m’intéressait particulièrement car je trouve l’idée d’imaginer une Europe complètement différente si les événements historiques s’étaient enchainés différemment absolument géniale. Une vraie uchronie en quelque sorte. Mais, finalement, le résultat global m’a un peu déçu. Sans doute en attendais-je trop…

Passons rapidement sur les parties I, II et IV qui sont assez courtes et relativement annexes (celle sur Christophe Colomb est même franchement décevante). Elles permettent en fait d’avoir les principaux éléments qui sont nécessaires pour comprendre la troisième partie, la plus longue (elle doit représenter les trois-quarts du livre) et la plus intéressante puisque celle consacrée à l’invasion des Incas en Europe et leur expansion. C’est véritablement là que l’auteur réécrit l’histoire en nous contant les diverses aventures qui ont mené les Incas à conquérir des Royaumes immenses. Cela tient à la fois à un certain sens politique (en termes d’alliances notamment) mais aussi à la chance par moments. C’est plutôt intéressant de voir cette progression. Le souci, c’est que, par moments, l’ensemble devient lassant car c’est un enchainement sans fin  de batailles, de conquêtes, le tout avec un très grand nombre de noms propres (il faudrait avoir un index à ses côtés tant ça s’accumule). Et ça manque de chair pour réellement emporter le lecteur avec lui : en étant si factuel, Laurent Binet offre un récit finalement très froid et dénué de toute émotion. Il passe beaucoup de temps à expliquer les mécanismes (politiques et guerriers) de cette invasion mais ne va finalement pas vraiment plus loin, ne montrant notamment pas l’impact réel sur les peuples. Alors qu’on aurait franchement envie de savoir !

Cette uchronie permet à l’écrivain de s’interroger (et de nous interroger, d’ailleurs) sur la place de la religion (surtout à cette époque où la chrétienté régissait absolument toute la vie des Royaumes), sur le fait de savoir qui sont les barbares, sur la manière dont s’écrit l’histoire (toujours du côté des vainqueurs, en théorie). Mais, encore une fois, on a l’impression que Laurent Binet ne va pas complètement au bout de tous ces questionnements. Ainsi, je me demande si Civilizations ne portait pas en lui un projet trop ambitieux, dont le programme était, de fait, impossible à tenir. Alors oui, Laurent Binet écrit bien (et on a même le sentiment par moments qu’il en a conscience et qu’il en joue, ce qui est toujours un peu agaçant) et certains passages sont même vraiment réussis. En utilisant plusieurs styles (le récit, les lettres, les poèmes), il permet à son histoire de respirer par moments car l’enchainement des noms et des batailles peut parfois être assommant. Finalement, ce récit ressemblerait presque à la description – de qualité, soyons honnête –  d’une partie du célèbre jeu vidéo du même titre que le roman où le but était de développer son peuple afin qu’il surpasse tous les autres. Selon moi, la référence ne peut être fortuite en tout cas…

« Il y avait au sein de ce palais un lieu sacré orné de plaques translucides, rouges, jaunes, vertes, bleues. Le plafond y était comme une toile d'araignée creusée dans la pierre, d'une hauteur qui surpassait celle du palais de Pachacutec. A l'extrémité de l'édifice, sur une estrade fastueusement décorée, quoique non entièrement tapissée d'or comme pouvait l'être la maison du soleil, trônait la statue d'un homme très maigre cloué sur une croix. Les hommes tondus manifestaient en ce lieu une dévotion fervente. Les Quiténiens ne doutèrent pas qu'il s'agissait d'une sorte de huaca. Qui était ce dieu cloué ? » 


On ne peut pas ôter à Laurent Binet le fait d’avoir eu une très bonne idée avec ce livre et de savoir écrire. Par contre, je trouve que l’ensemble manque un peu de vie, notamment parce qu’il décrit de manière très factuelle tous les événements, sans vraiment mettre de sentiments là-dedans. Il manque également la vision de ce que ces bouleversements ont vraiment sur les habitants européens. Bref, le projet est vraiment chouette mais le résultat moins convaincant.

Civilizations




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